Georges Ibrahim Abdallah, incarcéré en France depuis 29 ans,
a obtenu le 21 novembre dernier un
avis favorable de la justice française à sa demande de libération,
assorti d'un arrêté d'expulsion du territoire français signé par le
Ministre de l'intérieur. Cet arrêté n'a pas été signé par
Manuel Valls et le Tribunal d'application des peines a reporté sa
décision au 28 janvier, puis au 28 février dans l'attente d'une
décision.
Les
autorités libanaises ont demandé des explications à l'ambassadeur de
France. Le Premier ministre libanais a
qualifié ce report « d'injustifiable ». Cette situation suscite de
l'incompréhension, une vive émotion au Liban car Georges Ibrahim
Abdallah, libérable depuis des années, fait manifestement
l'objet d'un traitement d'exception. Et ce serait sous pression de
l'administration américaine que Manuel Valls n'aurait pas signé l'arrêté
d'expulsion.
Qui est ce Georges Ibrahim Abdallah, quelle est son histoire, pourquoi est-il toujours enfermé dans la prison de
Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées?
Biographie
Georges Ibrahim Abdallah est né le 2 avril 1951 à Al Qoubaiyat au Liban.
Son
engagement politique débute dans les rangs du Parti social nationaliste
syrien (PNSS) pour rejoindre ensuite
le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP). Il est
blessé lors de l'invasion israélienne du Sud Liban en 1978. Il est un
proche de Georges Habache, le leader du FPLP, et prend
la tête des Fractions armées révolutionnaires libanaises.
L'Arrestation
Il a été arrêté par les autorités Françaises le 24 octobre 1984 (après qu’un groupe du Mossad et des agents libanais l’eurent suivi à Lyon), pour détention d’un vrai-faux passeport algérien au nom d’Abdelkader Saâdi et condamné, en 1986, à quatre ans de
prison.
Le 23 avril 1985, les FARL enlèvent Gilles Sidney Peyrolles, attaché culturel de la France à Tripoli, et
réclament la libération de leur chef.
Yves Bonnet le patron de la DST, de l'époque, négocie avec
les services secrets algériens (directement avec le colonel Lakehal
Namat, directeur central de la Sécurité militaire et le commandant Smaïn
Lamari, directeur de la sécurité intérieure
algérienne): l'échange est sur le point d’aboutir.
Le
jeune conseiller culturel est finalement libéré début avril contre la
promesse d'une expulsion d'Abdallah vers
l'Algérie. "L’otage a été libéré, mais Abdallah est resté en prison.
On s’est conduit comme des voyous, la France n’a pas tenu parole, dit
l’ex-directeur de la DST, j’étais pour ma part,
personnellement disposé à tenir nos engagements", conclut-il.
Les
autorités françaises étaient alors soumises à une pression directe des
États-Unis. Le président américain
Reagan lui-même aborda le sujet du procès de Georges Ibrahim
Abdallah lors d’une rencontre avec le président français Mitterrand. De
nombreuses immixtions américaines s’étaient exercées pour
pousser les autorités françaises à ne pas relâcher Georges Ibrahim
Abdallah. Les États-Unis s’étaient constitués partie civile dans le
procès.
En
1986, le cas de Georges Ibrahim Abdallah se complique quand un
mystérieux Comité de solidarité avec les
prisonniers politiques arabes (CSPPA) exige sa libération et commet
des attentats faisant 13 morts, dont celui de la rue de Rennes, devant
le magasin Tati, en septembre. Les médias se déchaînent
et pointe les FARL. La tête des quatre frères de Georges Ibrahim
Abdallah, de Jacqueline Esber et de sa sœur Caroline, des sœurs Fayouz
et Ferial Daher et de Selim El Khoury, tous membres des
FARL, sont mises à prix. Des militants du Parti communiste libanais
(PCL) sont expulsés vers le Liban. En fait, ces attentats ont été commis
par un groupe islamiste qui sera démantelé en mars et
juin 1987, dirigé par le Libanais Anis Naccache, lié aux services
iraniens où est impliqué un diplomate de l’ambassade d’Iran à Paris,
Wahid Gordji.
Du coup, la donne change. «Les frères Abdallah ne sont pour rien dans l’attentat de la rue de Rennes», rapportait Libération du 16 septembre 1986, citant des sources policières. Ces faits
nouveaux auraient dû conduire à une révision de son procès. Il n’en a rien été. Car, comme l’écrivait l’Humanité du
13 mars 1987, «tout a été fait
pour associer dans l’esprit des Français le nom d’Abdallah au
terrorisme (…) et notamment à la vague d’attentats de septembre 1986».
En fait, le sort du militant libanais avait été scellé lors de la rencontre entre les présidents Mitterrand et
Reagan à Washington, en juillet 1986.
Il fallait un exemple et, surtout, il ne fallait pas le «laisser filer au mépris de la loi», écrivait alors le
Nouvel Observateur qui, à l’instar de nombreux médias, s’opposait à la libération d’un «terroriste» que l’Express qualifiait de «successeur de Carlos»!
C'est
dans ce contexte, alors que Georges Abdallah est incarcéré, que la
Direction de la surveillance du
territoire (DST) annonce la « découverte » d'une arme dans un
appartement loué en son nom, prétendant que celle-ci avait été utilisée
dans l'attentat contre le colonel Charles Ray,
attaché militaire américain à Paris le 18 janvier 1982 et l'agent du Mossad Yakov Barsimantov, "diplomate" israélien le 3 avril 1982..
Le premier mars 1987, les autorités françaises jugèrent une deuxième fois Georges Ibrahim Abdallah sur base de
cette "découverte" tardive et miraculeuse.
Un verdict de condamnation à perpétuité pour complicité d'assassinat fut prononcé bien que le procureur général n'ait requis qu'une peine de dix ans
d'emprisonnement.
Pour
ce procès, les autorités françaises avait constitué un tribunal spécial
antiterroriste pouvant
prononcer ses verdicts sur la base des données fournies par les
services secrets, sans avoir recours aux preuves juridiques ou aux
témoins, contrairement aux codes de
procédure. Absolument personne ne s’était présenté en témoignage de l’implication
de Georges Abdallah dans tout ce qu’on lui attribuait comme charges.
La Justice?
Depuis 1999 (ou
il a purgé la totalité de sa peine de sureté),
la libération de Georges Ibrahim Abdallah ne
requiert pas de recours en grâce particulier, elle est possible
juste par un simple arrêté administratif du Ministère de la Justice,
conformément au code pénal français qui rend cette libération
possible après quinze années d’incarcération.
À la fin des années 1990, Yves Bonnet s’est personnellement rendu au Syndicat de la magistrature pour
plaider la cause d’un homme qui doit le "maudire" du fond de sa cellule.
"J’ai été reçu par quatre magistrats qui m’ont prêté une oreille
attentive avant de m’éconduire poliment,
regrette-t-il. Ils m’ont expliqué qu’une prétendue conversion à
l’islam de Georges Ibrahim Abdallah avait fait de ce chrétien un
dangereux propagandiste islamiste, ce qui rendait sa libération
impossible".
En mars 2002, sa demande de libération est rejetée.
En
août 2002, en solidarité avec les prisonnières palestiniennes détenues à
Neve Tirza, en grève de la
faim pour dénoncer les humiliations quotidiennes dont elles font
l'objet dans les geôles sionistes, Georges Ibrahim Abdallah et plusieurs
dizaines de prisonniers détenus à Moulins refusent le
repas de l'administration pénitentiaire. Cette initiative lui a valu
d'être, avec deux autres détenus, prétendus "meneurs" placé plusieurs
mois à l'isolement, à la prison de Fresnes
en septembre 2002.
En
novembre 2003, la juridiction de la libération conditionnelle de Pau
a ordonné sa remise en liberté à condition qu'il quitte définitivement
le territoire pour le 15 décembre. C’était compter sans
les pressions extérieures. Notamment celle des États-Unis, partie
civile dans ce dossier puisqu’un de ses «diplomates» avait été abattu.
Sur ordre
de Dominique Perben, alors ministre de la justice, le Procureur général
de Pau fait appel de cette décision, saisissant
de facto la juridiction nationale. La juridiction nationale de
libération conditionnelle a rendu son verdict le 15 janvier 2004, en
décidant le maintien en prison de Georges Ibrahim Abdallah,
décision conforme aux conclusions de l’avocat général et au souhait
du ministre…
Il
présente une nouvelle demande de libération conditionnelle, en février
2005. Le Tribunal de Grande Instance de
Tarbes, présidé par le même juge qui avait statué positivement à la
première demande de libération en 2003, rejette cette nouvelle demande
en septembre 2005.
L'appel de cette décision, introduit par Georges en septembre 2005, est rejeté en février 2006.
Le 6 février 2007, Georges Ibrahim Abdallah dépose une nouvelle demande de libération
conditionnelle. Rappelons
que maintenant en France la justice d’exception s’effectue par
Vidéoconférence. L’accusé est seul, ou avec son avocat, face à des
caméras dans son lieu de détention, entouré de gardiens. Les juges,
avocats des parties civiles, procureur quant à eux siègent à
Paris dans les locaux du Palais de Justice. Le 6 février, personne
ne savait faire fonctionner les caméras ! L’examen de la demande a donc
été repoussé après les vacances judiciaires, au 4
septembre. Après un nouveau report, la demande sera rejetée le 10
octobre 2007.
Georges Abdallah fait appel.
En décembre 2007 a lieu l'examen en appel de la demande. La décision annoncée une première fois pour janvier 2008
est reportée en avril 2008. Entre-temps la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté entre en application. En
avril 2008, la justice décide d'appliquer rétroactivement la nouvelle
loi et envoie, en août 2008, Georges Abdallah au Centre national
d'observation de Fresnes pour une
période de six semaines à l'issue de laquelle une commission
pluridisciplinaire devra donner son avis. En décembre 2008, il est
notifié à Georges Abdallah que son dossier sera étudié le 22
janvier 2009. Le 8 janvier 2009 l'audience est de nouveau reportée
au 26 mars 2009.
Peu
de temps avant l'audience, la commission pluridisciplinaire rend son
avis, défavorable, au motif que Georges
Abdallah "a des convictions politiques intactes et très solides". Le
26 mars, la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de
Paris a finalement réexaminé la demande de Georges
Abdallah et a mis en délibéré sa décision au 5 mai 2009.
Le 23 avril 2009, le ministre libanais de la justice, Ibrahim Najjar remet à son homologue française, Rachida
Dati, en visite officielle au Liban, un dossier sur Georges Abdallah.
Dans une entrevue à La Dépêche du
7 janvier
2012, Yves Bonnet, directeur de la DST au moment de l'arrestation,
parle d'anormalité et de scandaleux le fait de maintenir encore
emprisonné Georges Ibrahim Abdallah. Il considère par ailleurs
qu'« il avait le droit de revendiquer les actes commis par les FARL
comme des actes de résistance. Après, on ne peut pas être d'accord,
c'est un autre débat. Mais il faut se souvenir du contexte,
aussi, des massacres de Sabra et Chatila dont les coupables n'ont
jamais été punis. Et aujourd'hui, la France garde cet homme derrière les
barreaux alors qu'elle a libéré Maurice Papon ?
»[
Yves
Bonnet estime d'ailleurs que Washington et Tel-Aviv militent encore
pour que l’ex-dirigeant des FARL ne
recouvre pas la liberté. "La France a subi tout au long de cette
affaire d’énormes pressions diplomatiques pour que celui qui a assassiné
non pas des diplomates mais en réalité un agent de la CIA
et un membre du Mossad (services secrets israéliens) reste en
prison", précise-t-il.
Il pense ainsi à une vengeance d'état, « c'est absolument lamentable » conclut-il.
Le
21 novembre 2012, le tribunal d’application des peines a, une nouvelle
fois, accordé la libération de Georges
Abdallah, assortie d’un arrêté d’expulsion du territoire français.
Ce dernier doit être signé par le Ministère de l’Intérieur.
Mais en vain car encore une fois le Parquet a fait immédiatement appel de cette décision. En attendant le
jugement du 10 Janvier 2013, Georges Abdallah reste incarcéré une fois de plus à la prison de Lannemezan.
Le
10 janvier 2013, la chambre d'application des peines de Paris qui
examinait l'affaire en appel, accède à sa
huitième demande de libération, en la conditionnant à un arrêté
d'expulsion du territoire français que le ministère de l'Intérieur doit
impérativement prendre d'ici le 14 janvier.
L'ambassadeur des Etats-Unis en France a dit "regretter" la décision du tribunal et espère qu'elle sera
annulée.
"Je regrette la décision prise aujourd'hui par le tribunal d'application des peines d'accorder la liberté
conditionnelle au terroriste reconnu coupable, Georges Ibrahim Abdallah", écrit Charles Rivkin dans un communiqué.
Lundi, 14 janvier 2013
Maître Vergès est convoqué au ministère de l’intérieur pour se voir notifié officiellement la décision
d’expulsion du territoire de Georges Abdallah vers le Liban le jour même.
Mais, le Ministre français de l’intérieur ayant refusé de signer la remise en liberté de Georges Abdallah, les
juges lui auraient accordé un délai supplémentaire jusqu’au 28 janvier 2013 pour appliquer la décision du tribunal.
Vendredi 18 janvier 2013
Christiane
Taubira, ministre française de la justice, vient de saisir la Cour de
cassation pour statuer sur la
décision de la Cour d’appel de remise en liberté conditionnelle de
Georges Abdallah. Ce qui révèle une nouvelle fois la soumission du
gouvernement français aux pressions des Etats-unis d’empêcher
la libération de Georges Abdallah.
Toujours le vendredi 18 janvier 2013, le Président de la République s'adresse aux Magistrats de la Cour de cassation:
"Vous êtes les gardiens de la loi",
"Il n’y a pas de justice sans indépendance des juges, c’est ma responsabilité
de président de la République d’y
veiller", a-t-il également insisté, soulignant que la Constitution lui
"en confère la charge" et qu’il "entend l’assumer pleinement".
Michel Sleimane, président de la République libanaise :
"Nous regrettons le refus de remise en liberté de Georges Abdallah.
J’ai reçu le représentant de la France au Liban et je lui ai confié les courriers qui conviennent à l’intention des Autorités françaises"
"Nous regrettons le refus de remise en liberté de Georges Abdallah.
J’ai reçu le représentant de la France au Liban et je lui ai confié les courriers qui conviennent à l’intention des Autorités françaises"
Lundi 28 janvier 2013
L’audience prévue ce lundi 28 janvier 2013 pour statuer sur sa libération conditionnelle a de nouveau été
reportée au 28 février 2013 en raison d’un nouvel appel du parquet.
Vous avez dit justice?
Ibrahim Abdallah est un résistant arabe qui a été condamné
dans des conditions inacceptables, au terme d'un procès d'exception
inéquitable. Il est retenu arbitrairement en France alors
qu'il est libérable pour des raisons purement politiques: à savoir
pour complaire aux Etats-Unis et à Israël. Il est temps que cette
lâcheté et cet acharnement de l'Etat français
cessent: il faut libérer immédiatement Georges Ibrahim Abdallah et
interpeller nos ministres, députés, et président socialistes pour qu'ils
prennent leurs responsabilités vis à vis du droit
!
Yves Abramovicz
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