Non M. Finkielkraut, il n'y a pas de boucherie halal à Villers-Cotterêts
Le philosophe, qui s'alarme régulièrement de la montée de l'Islam en France, s'est pris les pieds dans le tapis en s'appuyant sur un témoignage douteux.
Villers-Cotterêts, ville berceau d'Alexandre Dumas, sa nouvelle mairie FN et... Alain Finkielkraut. Fraîchement élu à l'Académie française, le philosophe s'est penché ce vendredi 11 avril sur les raisons qui ont poussé les électeurs de cette paisible commune de l'Aisne à tomber entre les mains du Front national lors des dernières municipales.
Pour expliquer la crise de l'intégration qui touche la France,
l'intellectuel controversé a choisi de s'appuyer sur l'exemple de cette
petite ville de 10.000 habitants. "Tout le monde s’inquiète de voir que
cette ville est passée au Front national, mais il faut savoir que la
maison du maître d’école a été vendue par la mairie, elle est devenue
une mosquée, que le restaurant savoyard est devenu un kebab et que la
boucherie est devenue halal. Ce sont des situations un tout petit peu
inquiétantes", s'est-il alarmé ce matin sur l'antenne d'Europe 1.
Trois exemples forts qui témoigneraient, à ses yeux, de la poussée de l'immigration, à l'origine du "délitement de notre société". Soit autant d'illustrations concrètes qui alimentent encore un peu plus la théorie du "grand remplacement" des populations, chère à Renaud Camus, écrivain d'extrême droite, condamné jeudi pour provocation à la haine. Mais ces affirmations sont-elles justes ? "Le Nouvel Observateur" a vérifié.
"La maison du maître d’école est devenue une mosquée". Pas tout à fait vrai… Vérifications faites, l'association cultuelle et culturelle islamique de Villers-Cotterêts, créée en 2002, a bien récupéré un terrain auprès de la mairie pour y aménager une salle de prière. Mais difficile de considérer le petit bâtiment, qui fait office de lieu de culte, comme une véritable mosquée. A l'origine, ce terrain accueillait plusieurs logements de fonction pour des enseignants de l'école maternelle voisine. "Mais c'était il y a fort longtemps", raconte la directrice de l'établissement, qui ne décolère pas, et qualifie les propos d'Alain Finkielkraut d'"affabulations". L'image de la maison de l'instituteur remplacée par la mosquée est donc un peu exagérée.
Dans cette même rue, où plus grand monde ne cache avoir voté pour le nouveau maire FN, Franck Briffaut, certains résidents peinent à cacher leur malaise. "Je respecte les musulmans, je ne suis pas raciste, mais c'est vrai qu'autour de la mosquée il y a beaucoup d'activités, il y a pas mal de jeunes délinquants qui rôdent. Heureusement, il n'y a pas encore de minarets !", témoigne Michèle, qui habite le quartier depuis plus de 20 ans.
"Le restaurant savoyard est devenu un kebab". Vrai. L'affirmation d'Alain Finkielkraut est juste. Les résidents de Villers-Cotterêts sont privés de fondues depuis 2011, date à laquelle l'ancien propriétaire du "Au petit savoyard" a revendu son affaire pour céder la place à un restaurant turc "Chez Tuncay". Un changement qui n'a pas l'air de choquer outre-mesure les riverains. "On a juste changé de régime, remplaçant le fromage par la viande de kebab" ironise ainsi Marc, un voisin qui avait ses habitudes "Au petit savoyard".
Alors oui, il y a bien un restaurant kebab à Villers-Cotterêts, mais faut-il pour autant y voir le quelconque signe d'une poussée du communautarisme ? A notre connaissance, l'écrivain controversé ne s'émeut pas de la présence de deux restaurants asiatiques dans la même ville.
"La boucherie est devenue halal". Faux. "Une boucherie halal, mais quelle boucherie halal ?", s'étonne Marc. C'est le mensonge d'Alain Finkielkraut. Si le philosophe avait pris la peine de faire une halte dans la ville picarde, il aurait pu s'apercevoir que de boucherie halal, il n'y en a point. Une chevaline, rue du général Mangin, l'une des artères principales de la commune et deux boucheries-charcuteries, rues de Verdun et Alexandre Dumas, mais aucune trace d'enseigne halal dans la ville. "Il n'y a jamais eu de boucherie halal à Villers-Cotterêts", assure le responsable de l'un de ces commerces de proximité.
Plus embêtant pour le nouvel académicien, ce témoignage a été déterré le 31 mars par le très controversé site nationaliste Fdesouche, au lendemain même de la victoire du Front national à Villers-Cotterêts. Alain Finkielkraut a-t-il donc une mémoire d'éléphant prompte à se souvenir d'un article de "Libération" qui date de deux ans ? Ou bien va-t-il régulièrement "s'informer" sur un site aux relents extrémistes et islamophobes ? On penche pour la seconde option.
Guillaume Stoll - Le Nouvel Observateur
Trois exemples forts qui témoigneraient, à ses yeux, de la poussée de l'immigration, à l'origine du "délitement de notre société". Soit autant d'illustrations concrètes qui alimentent encore un peu plus la théorie du "grand remplacement" des populations, chère à Renaud Camus, écrivain d'extrême droite, condamné jeudi pour provocation à la haine. Mais ces affirmations sont-elles justes ? "Le Nouvel Observateur" a vérifié.
"La maison du maître d’école est devenue une mosquée". Pas tout à fait vrai… Vérifications faites, l'association cultuelle et culturelle islamique de Villers-Cotterêts, créée en 2002, a bien récupéré un terrain auprès de la mairie pour y aménager une salle de prière. Mais difficile de considérer le petit bâtiment, qui fait office de lieu de culte, comme une véritable mosquée. A l'origine, ce terrain accueillait plusieurs logements de fonction pour des enseignants de l'école maternelle voisine. "Mais c'était il y a fort longtemps", raconte la directrice de l'établissement, qui ne décolère pas, et qualifie les propos d'Alain Finkielkraut d'"affabulations". L'image de la maison de l'instituteur remplacée par la mosquée est donc un peu exagérée.
Dans cette même rue, où plus grand monde ne cache avoir voté pour le nouveau maire FN, Franck Briffaut, certains résidents peinent à cacher leur malaise. "Je respecte les musulmans, je ne suis pas raciste, mais c'est vrai qu'autour de la mosquée il y a beaucoup d'activités, il y a pas mal de jeunes délinquants qui rôdent. Heureusement, il n'y a pas encore de minarets !", témoigne Michèle, qui habite le quartier depuis plus de 20 ans.
"Le restaurant savoyard est devenu un kebab". Vrai. L'affirmation d'Alain Finkielkraut est juste. Les résidents de Villers-Cotterêts sont privés de fondues depuis 2011, date à laquelle l'ancien propriétaire du "Au petit savoyard" a revendu son affaire pour céder la place à un restaurant turc "Chez Tuncay". Un changement qui n'a pas l'air de choquer outre-mesure les riverains. "On a juste changé de régime, remplaçant le fromage par la viande de kebab" ironise ainsi Marc, un voisin qui avait ses habitudes "Au petit savoyard".
Alors oui, il y a bien un restaurant kebab à Villers-Cotterêts, mais faut-il pour autant y voir le quelconque signe d'une poussée du communautarisme ? A notre connaissance, l'écrivain controversé ne s'émeut pas de la présence de deux restaurants asiatiques dans la même ville.
"La boucherie est devenue halal". Faux. "Une boucherie halal, mais quelle boucherie halal ?", s'étonne Marc. C'est le mensonge d'Alain Finkielkraut. Si le philosophe avait pris la peine de faire une halte dans la ville picarde, il aurait pu s'apercevoir que de boucherie halal, il n'y en a point. Une chevaline, rue du général Mangin, l'une des artères principales de la commune et deux boucheries-charcuteries, rues de Verdun et Alexandre Dumas, mais aucune trace d'enseigne halal dans la ville. "Il n'y a jamais eu de boucherie halal à Villers-Cotterêts", assure le responsable de l'un de ces commerces de proximité.
Comment Finkielkraut a déterré un témoignage douteux
Mais sur quoi s'est donc basé Alain Finkielkraut pour lancer de telles affirmations de bon matin à des dizaines de milliers d'auditeurs d'Europe 1 ? Une petite recherche sur internet suffit pour retrouver trace de ces trois "histoires". En fait, le philosophe s'est appuyé sur le témoignage d'une habitante de Villers-Cotterêts, qui témoignait en avril 2012 en pleine campagne présidentielle dans un reportage de "Libération". "La maison du maître d’école a été vendue par la mairie pour en faire une mosquée [...] le 'changement', c’est aussi le restaurant savoyard devenue un kebab, et la charcuterie transformée en boucherie halal…", écrivait ainsi le quotidien, qui reprenait les propos d'une certaine Marie, assistante médicale.Plus embêtant pour le nouvel académicien, ce témoignage a été déterré le 31 mars par le très controversé site nationaliste Fdesouche, au lendemain même de la victoire du Front national à Villers-Cotterêts. Alain Finkielkraut a-t-il donc une mémoire d'éléphant prompte à se souvenir d'un article de "Libération" qui date de deux ans ? Ou bien va-t-il régulièrement "s'informer" sur un site aux relents extrémistes et islamophobes ? On penche pour la seconde option.
Guillaume Stoll - Le Nouvel Observateur
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire