Karl
Marx naissait il y a 200 ans. Peu de penseurs ont autant influencé l’histoire
que lui. Sa critique aiguë et radicale du capitalisme est aujourd’hui toujours
actuelle : crises économiques, exploitation, les caractéristiques de l’état, la
lutte des classes, le rôle de la classe ouvrière, la pensée écologiste, …i
1. Crise économique
La
crise financière de 2008 a eu des effets dévastateurs. La crise a creusé des
gouffres dans les finances publiques et a coûté 20 % du pib aux pays de l’euro
zone.ii
Pour sauver les banques, les autorités nationales du monde entier ont libéré
presque 9.000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 65 ans d’aide au
développement.iii
Cette
grande récession a provoqué l’effondrement de tout le système financier. Le
comble est que les économistes bourgeois ne l’ont même pas vu venir. Mais cela
n’est pas étonnant car l’économie bourgeoise n’a tout simplement pas de théorie
de la crise. Pour expliquer une crise économique, on a recours à des
explications superficielles et psychologiques comme « des comportements
irresponsables » ou « mauvaise évaluation » des acteurs
économiques, «comportement irrationnel» des investisseurs ou «mauvaise
communication» de la part des politiciens. Au mieux, on parle de « règles
du jeu imparfaites ». Il n’y a pas d’analyse profonde, structurelle.
Pour
Marx par contre, l’étude des crises est un élément essentiel de sa théorie. Pour
lui, la crise n’est pas un phénomène dû au hasard ou à la cupidité. Au
contraire, la crise fait partie de l’ADN du capitalisme. Elle fait partie
intégrante de sa propre logique. « La limitation de la production
capitaliste, c’est le capital lui-même. »iv Marx constatait que
régulièrement le moteur du capitalisme tombait en panne. A ce moment-là une
partie de l’appareil de production est détruit. Les crises « détruisent
non seulement une grande partie des marchandises produites mais aussi les
forces productives déjà développées. »v
Marx
a été le premier économiste à expliquer pourquoi le capitalisme était
régulièrement confronté à des crises. En quelques mots voici son explication.
Les salariés produisent plus que ce qu’ils peuvent acheter avec leur salaire.
Ou en d’autres termes, ils gagnent moins que la valeur qu’ils produisent par
leur travail. (voir le point deux) Comme la production est plus importante que
ce qui peut être consommé, une partie de la production ne peut être vendue.
« Finalement, toutes les crises sont causées par la pauvreté et la
limitation du pouvoir d’achat des masses face à la pression de la production
capitaliste de développer les forces productives comme si les limites n’étaient
définies que par la force de consommation absolue de la société. »vi
De
cette manière il se crée régulièrement un court-circuit entre la production et
la consommation. Pendant la crise, ce court-circuit est supprimé. C’est une
cure périodique d’assainissement, une purge dont le capital a besoin pour
survivre. La crise est « une destruction violente de capital, pas à
cause de relations externes mais comme une condition de survie. »vii
La purge est brutale. A tous les coups, c’est la population des
travailleurs qui endossera les frais de la crise. «Là où la société ne
contraint pas le capital à tenir compte de la santé et de la durée de vie des
travailleurs, il ne s’en préoccupe absolument pas. »viii
La crise de 2008 a précipité dans l’extrême
pauvreté 64 millions de personnes dans le monde. Pour Oxfam, il faudra de 10 à
25 ans pour que la pauvreté retrouve le niveau d’avant le crash.ix
Lors
d’une crise on parle de surproduction, mais c’est considéré du point de vue du
capital. En réalité, il s’agit de sous-consommation parce que, pour une grande
partie de la population, beaucoup de besoins vitaux essentiels ne sont pas
satisfaits malgré tout ce qui est produit. « Il n’y a pas de
surproduction de biens de nécessité vitale pour la population, au contraire
même. Il y a trop peu de production pour satisfaire dignement et humainement
les désirs des masses. »x Voyez les longues listes
d’attente pour obtenir un logement social, une place en crèche, des soins pour
les handicapés et les personnes âgées. Et nous ne parlons même pas encore des
défis énormes posés pour la production d’énergie verte.
Quelles
sont les recettes pour s’attaquer à une crise économique ? Comment l’élite
économique surmonte-t-elle les récessions périodiques ? « D’une part
par la destruction contrainte d’une masse de forces productives. D’autre part
par la conquête de nouveaux marchés, et par l’exploitation plus profonde encore
des marchés anciens. »xi
De nouveau, la dernière crise en est une belle illustration. Après 2008, les
multinationales perdaient de par le monde 2.000 milliards de dollars de
capacité de production et, au total, au moins 20 millions de jobs étaient
détruits.xii
Après 2008, et dans tous les pays capitalistes, les salaires étaient
sérieusement rabotés. « Les crises offrent aussi des possibilités
intéressantes. Nous pouvons obtenir des choses qui seraient impossibles sans
elles. » disait Wolfgang Schäube, le ministre allemand des finances à
l’apogée de la crise en Europe.xiii
Une
autre tentative de sortir des crises récurrentes est le « doping
financier » du système. Quand les attentes de profit dans la sphère de
production sont faibles, le capitaliste a recours au secteur financier. « La
spéculation se produit régulièrement dans des périodes où la surproduction est
déclenchée pleinement. Elle prévoit des possibilités d’écoulement pour la
surproduction. »xiv
Après la crise de ‘73 nous sommes le témoin d’une véritable explosion
financière. En 1980 les actifs financiers sont bons pour 120% du pib dans le
monde entier. En 2014 c’est 370%, soit trois fois plus.xv
Le marché dérivé représente aujourd’hui plus de 630.000 milliards de dollars,xvi
cela revient à presque 90.000 dollars par personne sur la planète. Peu avant la
crise de 2008 plus de 40% des bénéfices des grandes entreprises provenaient de
la spéculation.xvii
Au
sein de l’élite économique se niche une couche supérieure financière qui
parasite le reste de l’économie. « Cela reproduit une nouvelle
aristocratie financière, une nouvelle variété de parasites sous la forme de
promoteurs, de spéculateurs et de CEO. C’est tout un système d’escroquerie et
de tromperie au moyen de promotions, d’émission d’actions et de spéculation
boursière. »xviii
Les
tentatives de sortie de crise permettent un soulagement temporaire mais ne
résolvent fondamentalement pas le problème, au contraire. Les contradictions à
l’intérieur du capitalisme « sont en permanence surmontées mais aussi
constamment ressuscitées ».xix
« La production capitaliste tente sans arrêt de surmonter ses propres
limites internes, mais elle les surmonte uniquement grâce à des moyens qui
placent les limitations à une échelle encore plus grande. »xx
On profite des crises pour baisser les salaires pour que les bénéfices puissent
encore augmenter. Mais ceci est précisément la recette pour un futur
court-circuit entre production et consommation.
Le
dopage financier ne fait qu’aggraver le mal. « Cela ouvre
provisoirement de nouvelles possibilités d’écoulement pour la surproduction,
alors que c’est justement pour cette raison que l’arrivée de la crise est
accélérée et que sa force en est amplifiée. »xxi
La taille et la puissance des groupes financiers, et l’impact qu’ils ont sur la
sphère de production, sont devenus tels qu’ils sont capables aujourd’hui de
déstabiliser l’économie mondiale. C’est ce qui est arrivé en 1929, avec le
crash de Wallstreet et en 2008 avec la crise financière. Depuis la
financiarisation de l’économie en 1973 le lien avec l’économie réelle s’est
perdu. Une gigantesque bulle financière est apparue qui peut éclater tôt ou
tard, et qui éclate d’ailleurs régulièrement. Depuis les années 80, tous les
deux ou trois ans, il y a une crise boursière, une crise banquière, un crash
financier ou une crise d’endettement. Ces crises financières n’existent pas par
elles-mêmes, elles sont la conséquence de la surproduction. « La crise
elle-même éclate d’abord dans le domaine de la spéculation, ce n’est que plus
tard qu’elle touche la production. Ce qui, pour l’observateur superficiel est
la cause de la crise, n’est pas la surproduction mais l’excès de spéculation.
Mais la spéculation elle-même n’est qu’un symptôme de la surproduction. » xxii
Sur
quoi cela débouche-t-il ? « A la préparation de crises encore plus
importantes et violentes. »xxiii
Les crises des dernières décennies deviennent effectivement toujours plus
profondes et elles ne sont pas nécessairement suivies de rétablissement ou de
périodes de haute conjoncture. S’il y a quand même une période de haute
conjoncture, elle est souvent de courte durée et elle est surtout causée par du
« dopage financier » : des dettes ou de la spéculation. Désormais les
crises ne sont plus des événements isolés qui reviennent à quelques années
d’intervalle, elles ont un caractère quasi permanent.
2. L’exploitation du travail
Des
fortunes fabuleuses d’un côté, de la misère sourde de l’autre. D’où cela
vient-il, et ces deux phénomènes sont-ils liés ? Pendant une grande partie de sa
vie, Marx a cherché une réponse à ces questions. Il était à la recherche du
« fondement caché de la construction socio-économique »xxiv
responsable aussi bien de gigantesques richesses que du fossé entre riches et
pauvres. « Ce n’est qu’en connaissant les lois économiques qu’on peut
comprendre le lien intime entre la faim de la plus grande partie de la
population travailleuse et la consommation brute ou raffinée, démesurée, des
riches basée sur l’accumulation capitaliste. »xxv
Après
de longues études il a développé la théorie de la plus-value et de l’exploitation.
« Le mobile et le but dominant du processus de production capitaliste
est avant tout une auto-expansion du capital la plus grande possible, ce qui
signifie l’exploitation la plus grande possible de la force du travail par le
capitaliste. »xxvi
Le
clou de l’affaire est que chaque travailleur produit plus de valeur que le
salaire qu’il reçoit en échange. C’est aussi la condition pour que le capitaliste
soit disposé à engager des gens. Supposons, par exemple, qu’un travailleur
produise une valeur de 25€ (des biens ou des services). Son salaire sera de
15€.xxvii
La différence, 10€, est ce que Marx appelle la plus-value. Cet argent va dans
la poche du propriétaire de l’entreprise (le patron ou les actionnaires). Marx
appelle le fait de s’attribuer cette plus-value par le capitaliste, exploitation.
Notre
exemple est fictif mais il est proche de la réalité. Dans les 500 plus grandes
entreprises de par le monde la plus-value moyenne par travailleur est d’environ
11€ de l’heure.xxviii
La
création de plus-value explique pourquoi il y a de la richesse gigantesque au
sein du capitalisme. Supposons que dans l’entreprise de notre exemple il y ait
100 travailleurs. Le patron empoche alors 1000€ par heure, ou 70 fois plus que
son travailleur. La propriété des moyens de production amène donc une
concentration démesurée de richesse dans les mains de quelques-uns. Dans notre
exemple, un travailleur avec un salaire de 2.500€ devrait travailler 160.000
ans pour avoir la fortune d’Albert Frère.xxix
Aujourd’hui dans le monde, 8 personnes possèdent autant que 3,6 milliards
d’autres. En quelques mots : « ceux qui travaillent dans la société
bourgeoise ne ‘gagnent’ pas et ceux qui y ‘gagnent’ ne travaillent pas. »xxx
Ce
n’est pas pour rien que l’ouvrage principal de Marx Le Capital commence
par la phrase suivante : « La richesse des sociétés où règne le mode de
production capitaliste est une accumulation colossale de biens. »xxxi
Aujourd’hui cela n’est pas différent. Jamais notre pays n’a produit autant
de richesse qu’aujourd’hui. Le revenu moyen disponible d’un ménage belge avec
deux enfants est de 8.650€ net par mois.xxxii
Avec
une telle richesse, il est évident que nous pourrions tous vivre sans soucis,
dans l’opulence. Et, malgré cela, il existe beaucoup de misère. 20% de nos
ménages risquent de tomber dans la pauvreté, un quart des ménages a du mal à
payer toutes ses dépenses médicales, 40% ne peuvent rien épargner et 70% des
chômeurs ont du mal à boucler le mois.xxxiii
« Il
n’y a pas d’argent, nous ne pouvons pas faire autre chose que
d’épargner. » claironne la droite en chœur. Pas d’argent, comment ? Rien
que ces trois dernières années, les entreprises belges ont éclusé 300 milliards
d’euros vers les paradis fiscaux.xxxiv
C’est une accumulation colossale d’argent avec lequel elles ne savent tout
simplement pas quoi faire. Avec 1 milliard d’euros il est possible de mettre au
travail 30.000 personnes pendant un an.xxxv
Pour Marx, le problème n’est pas qu’il y a trop peu de richesse mais qu’elle
est scandaleusement mal distribuée et que cela fait partie intégrante du
capitalisme. « Le capital est la puissance économique dominante de la
société bourgeoise. Il est nécessairement le point de départ et d’arrivée de la
recherche.”xxxvi
Depuis
l’origine du capitalisme, la lutte pour la plus-value constitue le cœur de la
lutte sociale. Parce que la plus-value est la seule source de bénéfices, elle
est donc aussi le but ultime de tout capitaliste. Cependant, plus les salaires
sont hauts, plus les bénéfices sont bas et vice versa. Le capitaliste fait tout
pour faire travailler les salariés plus longtemps, plus durement et meilleur
marché. De leur côté, les salariés s’efforcent d’obtenir une journée de travail
plus courte, un salaire plus élevé et plus juste et un rythme de travail plus
humain. Les intérêts sont incompatibles : un gain pour l’un est une perte pour
l’autre. Marx décrit le capital comme « un vampire qui ne peut
retrouver une nouvelle vie qu’en aspirant du travail vivant et qui vit d’autant
plus longtemps qu’il en aspire de plus en plus. »xxxvii
Pour
survivre, un travailleur doit nécessairement offrir sa force de travail sur le
marché de l’emploi. Là où règne la loi de l’offre et de la demande. « Les
travailleurs qui sont obligés de se vendre chaque jour sont une marchandise, un
article commercial comme n’importe quel autre. Ils sont donc exposés à toutes
les variations de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. »xxxviii
Plus
il y a de travailleurs qui se présentent pour un même job, plus il y a de
concurrence entre eux, plus ils seront enclins d’accepter de travailler pour un
salaire moindre et dans des plus mauvaises conditions. Pour cette raison
l’élite économique fait toujours en sorte qu’il y ait trop de travailleurs ou,
selon les termes de Marx, une armée de réserve industrielle. « La
quantité de force de travail disponible livrée par l’accroissement naturel de
la population n’est absolument pas suffisante pour la production capitaliste.
Pour évoluer librement ,elle a besoin d’une armée de réserve industrielle,
indépendante de ses frontières naturelles. »xxxix
Pour
garder à niveau cette armée de réserve après la deuxième guerre mondiale, des
travailleurs immigrés ont été attirés en Europe et on a incité les femmes à
travailler. Aujourd’hui, cette armée de réserve dans les pays riches constitue
26% de la population active (voir le graphique). Dans le monde c’est même 58%.xl
Depuis ces dernières années, on préserve le niveau de cette armée de réserve en
faisant travailler les gens plus longtemps – âge de la pension plus élevé et
suppression des prépensions – en obligeant les chômeurs à accepter un travail,
en traquant les malades de longue durée pour qu’ils reprennent le travail le
plus vite possible et en mettant plus d’étudiants au travail. « L’accumulation
de richesse d’un côté entraîne donc accumulation de misère, harcèlement du
travail….. de l’autre côté. »xli
Quand
il s’agit de profits, le capital ne ménage absolument pas la santé ou le
bien-être du travailleur. La formulation de Marx : dans sa « faim
insatiable de plus-value » le capital commet « des
extravagances démesurées ».xlii
Le
rapport entre salaires et profits, ou le degré d’exploitation, est défini par
les rapports de force entre le travail et le capital. Plus la population des
travailleurs s’organise et se défend, meilleures sont les conditions salariales
et les conditions de travail (voir point 5). Un outil important dans ce rapport
de force est la grève. A ce moment-là la source de la plus-value et donc
l’enrichissement du capitaliste est tarie et le capitalisme est touché au cœur.
De là, selon Marx, « la rage furieuse » de l’élite économique
« contre la grève ».xliii
3.Lutte des classes
Micheline est ouvrière dans une grande entreprise textile. Son
patron est Mr Richard. Il a 600 salariés à son service. A première vue,
Micheline et Mr Richard son des citoyens égaux, ayant les mêmes droits. Tous
les deux sont libres de se rendre où ils veulent, de faire ce qu’ils ont envie
de faire. Quand ils entrent dans un magasin, ils paient le même prix. Aux
élections, ils ont chacun une voix et ils sont en principe égaux devant la loi.
Mais dès qu’elle passe la porte de l’entreprise, tout change
comme par enchantement. Micheline n’a plus rien à dire et il n’est plus
question de droits égaux. Pour pouvoir disposer d’un revenu, elle est obligée
de vendre sa force de travail. Avoir le droit de travailler, combien d’heures
par semaine, l’organisation de son travail, tout cela est déterminé entièrement
par son patron. Mr Richard, de son côté, décide lui-même de ses propres
investissements, de ses gains, ainsi que de tout ce qui concerne Micheline. Si
cela lui chante, il investira son argent dans une autre entreprise qui jettera Micheline
à la rue.
« Qu’est-ce
que la richesse sinon le déploiement absolu de talents créatifs? » écrit
Marx.xliv
Micheline est une femme sociable, créative et entreprenante. Mais au sein de
l’entreprise elle ne peut pas déployer ses talents, au contraire, elle doit les
réprimer pour pouvoir continuer à y travailler. La seule chose qu’on attend
d’elle est une prestation pour réaliser les attentes de bénéfices de son
patron. Elle est réduite à un facteur de production, sa dignité humaine ou ses
besoins ne sont nullement pris en compte. « Le travail comme pure
satisfaction des besoins directs n’a rien à voir avec le capital, car ce n’est
pas la moindre préoccupation du capital. »xlv
Micheline
travaille à un rythme effréné, ses pauses-café sont chronométrées. Quand même,
elle gagne vingt fois moins que son patron, qui organise entièrement seul son
rythme de travail et ses vacances. Elle vivra en bonne santé 18 années de moins
que la femme de Mr Richard.xlvi
« La production produit l’homme non seulement comme une marchandise, …
elle le produit comme un être déshumanisé aussi bien physiquement que
mentalement. »xlvii
Micheline
et Mr Richard personnifient la situation socio-économique très inégale de la
société capitaliste. Prenez la situation en Belgique. Au bas de la pyramide il
y a un tiers de la population qui ne peut pas épargner et qui a très peu de
possessions. En haut, il y a 5% de super-riches. Ils possèdent autant que les
75% des plus pauvres. Quelques centaines de familles contrôlent la plus grande
partie de l’économie belge.xlviii
Marx a eu le mérite d’analyser avec précision cette contradiction flagrante,
mais aussi de la situer dans une perspective historique et de voir comment cela
peut être surmonté. Dans l’enchevêtrement de contradictions et de conflits sans
fin il a découvert un patron fondamental qui survient régulièrement sous
différents aspects. Selon lui, la contradiction entre travailleurs et patrons
dans le capitalisme n’est pas un phénomène nouveau. Une semblable contradiction
était déjà survenue sous différentes formes à plusieurs reprises dans
l’histoire.
« L’histoire
de toutes les sociétés jusqu’à aujourd’hui est l’histoire de la lutte des
classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître
de guilde et compagnon, bref oppresseurs et opprimés ont été continuellement
opposés les uns aux autres, ils ont mené une lutte ininterrompue, parfois de
façon masquée, parfois ouvertement , une lutte qui se terminait chaque fois par
un changement révolutionnaire de toute la société ou par un déclin des classes
en lutte. … La société bourgeoise moderne issue du déclin de la société féodale
n’a pas supprimé les contradictions de classes. Elle n’a fait que créer de
nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de
lutte à la place des anciennes. Notre époque, l’époque bourgeoise se
caractérise cependant par le fait d’avoir simplifié les contradictions de
classes. Toute la société se scinde de plus en plus en deux camps ennemis, en
deux classes diamétralement opposées, la bourgeoisie et la classe
ouvrière. »xlix
Cette
lutte des classes est essentiellement une lutte autour du surplus économique.
Pendant des centaines de milliers d’années, l’humanité a vécu en mode de
survie. Il n’y avait pas d’excédents et tout était partagé équitablement.
C’était la période des chasseurs cueilleurs et de l’agriculture débutante. A
partir de 3.000 ans avant J.C. cette situation change. Les techniques
d’agriculture s’améliorent et on produit plus que nécessaire pour survivre. La
production excédentaire permet la création de catégories de population qui ne
produisent pas : des dirigeants, des prêtres, des clercs, des juges, des
soldats… Dans ces rangs se forme une couche qui attire le pouvoir, qui a en
main les moyens de production les plus importants, et qui va s’approprier la
plus-value.
Ainsi
naît la scission de la société en une petite classe supérieure qui s’enrichit
au détriment des classes inférieures. Ce schéma est récurrent dans l’histoire.
Dans l’Antiquité les maîtres s’enrichissent grâce aux esclaves. Au Moyen Age la
noblesse le fait grâce aux serfs. Dans le capitalisme ce sont les capitalistes
qui s’enrichissent au détriment de la classe ouvrière.
Cet
enrichissement, ou exploitation, n’est évidemment pas basé sur le consentement
spontané des classes inférieures, il doit être forcé, cela suppose une lutte.
De là la formulation de Marx qui parle de lutte des classes.
Parce
que cette lutte concerne essentiellement la surproduction, le travail est
organisé de telle manière pour que la classe dominante puisse écrémer le
surplus économique. « La forme économique spécifique où le temps de
travail non-payé est pompé directement des producteurs, détermine les rapports
entre régnants et dominés. Ceci est le fondement de la société et, en même
temps, sa forme politique spécifique. C’est toujours la relation directe entre
les possesseurs des moyens de production et les producteurs directs … qui dévoile
le secret le plus profond, le fondement caché de tout l’édifice
socio-économique et donc aussi … la forme spécifique de l’état. »l
Dans
l’appropriation de la surproduction, la possession des moyens de production est
essentielle et c’est pour cette raison que Marx n’en veut pas. « Nous
voyons comment la propriété privée peut achever maintenant sa domination sur
l’homme et peut devenir une puissance de l’histoire mondiale, sous la forme la
plus générale. »li Pour Marx, les classes ont
à voir avec la sphère de production. Il s’agit de groupes de personnes dont
l’un peut s’approprier le travail d’un autre comme conséquence du fait qu’il
possède des moyens de production.
Pour
Marx et Engels, la lutte des classes n’est pas un détail de l’histoire
mondiale, c’est « la force motrice de l’histoire ».lii
C’est la dynamique fondamentale qui fait avancer l’histoire. Pour Marx
c’est un développement « dialectique » c.à.d. une dynamique basée sur
des contradictions internes. « Parce que le fondement de la
civilisation se base sur l’exploitation de l’un par l’autre, tout son
développement évolue dans une contradiction continuelle. Tout progrès de la
production est en même temps un recul des conditions de vie de la classe
opprimée, c.à.d. de la grande majorité. »liii Cette loi « a la
même signification pour l’histoire que la loi de la conservation de l’énergie
pour la physique. »liv
Dans
la vision de société de Marx et Engels, les intérêts contradictoires prennent
une place centrale. Cela nuance leur opinion sur la politique. « Le
pouvoir politique au sens propre est le pouvoir organisé d’une classe pour
opprimer une autre. »lv Pour Marx, le conflit est
central. La politique ne se fait pas pour chercher des solutions aux problèmes,
mais pour s’occuper de situations de domination et d’oppression. Il ne peut
être mis fin à cela qu’en s’attaquant aux causes. Pour Marx, la politique est
en premier lieu une confrontation entre des groupes d’intérêt qu’il dénomme
classes. « La société n’est pas constituée d’individus mais elle est la
somme des relations entre personnes, ou la façon dont les personnes sont
situées les unes par rapport aux autres. Comme si quelqu’un disait : du point
de vue de la société, il n’y a pas d’esclaves ni d’hommes libres, ce sont tous
des êtres humains. »lvi
Micheline et Mr Richard seraient tous deux des êtres humains, ni plus ni moins
…
Un
véritable changement de société ne peut advenir que si on s’attaque aux
contradictions fondamentales, et cela se situe au niveau de l’économie.
« Sur cette base, les causes ultimes de tous les changements de société et
des bouleversements politiques ne doivent pas être cherchées dans la tête des
gens, dans leur compréhension plus profonde de vérité et de justice éternelles
mais dans les modes de production et d’échange ; elles doivent être
cherchées non pas dans la philosophie mais dans l’économie de la période
concernée. »lvii
Ce
n’est pas que Marx et Engels n’avaient pas d’intérêt pour la lutte des idées. A
cela, ils ont eux-mêmes dédié presque toute leur vie. Mais c’est une illusion
de penser qu’il est possible de modifier les fondements d’une société seulement
par la persuasion, en faisant changer les gens d’opinion. La force seule de
l’argumentation n’y arrivera pas, car les idées n’existent pas par elles-mêmes.
« La production des idées… est en première instance directement enlacée
dans l’activité matérielle de l’homme. »lviii
Et cette activité matérielle n’est pas neutre mais est caractérisée par les
rapports de force qui déterminent à leur tour les idées. « Les idées de
la classe dominante, dans toutes les périodes, sont les idées
dominantes. »lix
Si on veut vaincre les idées dominantes , il faut détrôner la classe dominante,
et pour cela modifier les rapports de force. Pour cela, la classe ouvrière est
essentielle.
4. Le rôle de la classe ouvrière
Marx
était un penseur stratégique. Il ne voulait rien savoir d’idéaux romantiques,
éloignés de la réalité. Par contre, il était à la recherche de leviers et de
forces dans la réalité qui pourraient mener vers un monde meilleur. « Ils
ne doivent pas réaliser des idéaux, mais faire émerger des éléments d’une
nouvelle société que l’ancienne société bourgeoise qui s’effondre porte en
elle. »lx
Plus précisément, il faut pouvoir faire usage « des fractures
internes de la bourgeoisie. »lxi
La
force sociale à l’intérieur du capitalisme capable de réaliser cela est la
classe ouvrière. L’essence du capitalisme est, entre autres, l’accumulation de
capital basée sur la plus-value et le travail salarié. Finalement, cela rend le
capitaliste dépendant du travailleur. « La condition essentielle pour
que la bourgeoisie existe et domine est l’accumulation de capital dans les
mains de particuliers, la formation et l’augmentation du capital. La condition
du capital c’est le travail salarié. » lxii Les ouvriers peuvent
paralyser la production et toucher au cœur le capitalisme.
Parce
que l’organisation de la production se fait de plus en plus dans de grandes
unités, le capitalisme réunit de fait la population des travailleurs. « Le
capital est ce qui les relie. »lxiii
« Les progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie est le
représentant apathique et sans défense, remplace l’isolement des travailleurs,
résultat de la concurrence, par leur organisation révolutionnaire dans des associations
(syndicats). … Les travailleurs constituent des coalitions (syndicats) contre
la bourgeoisie. Ils se réunissent pour défendre leur salaire. Ils créent
eux-mêmes des associations durables pour constituer des provisions en cas de
résistance. »lxiv
Ce
rassemblement augmente aussi la conscience politique des travailleurs.
« Avec le développement de l’industrie, le prolétariat augmente non
seulement en nombre, il est aussi rassemblé dans de plus grandes masses, sa
force grandit et il en est de plus en plus conscient. »lxv
C’est
la ruse de l’histoire. Sans le savoir, le capitalisme produit « son propre
fossoyeur ».lxvi
Dans
la lutte pour une société plus juste, les travailleurs devront surtout compter
sur eux-mêmes et pas sur la bourgeoisie ou la petite-bourgeoisie.lxvii
« L’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre de la classe
ouvrière elle-même. Pour cette raison, nous ne pouvons pas prendre la mer avec
des gens qui disent ouvertement que les travailleurs ne sont pas formés pour se
délivrer eux-mêmes et doivent être libérés par la grande et la petite
bourgeoisie philanthropique. »lxviii
Contrairement aux autres classes, les travailleurs « n’ont rien à
perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. »lxix
Ce seront les travailleurs « qui par leur courage, leur fermeté et leur
sens du sacrifice porteront la plus grande responsabilité pour la victoire.
Tout comme dans le passé, la petite-bourgeoisie va hésiter le plus longtemps
possible, va rester indécise et inactive. Mais, quand la victoire sera
certaine, elle la revendiquera pour elle-même et appellera les travailleurs à
rester réservés, à retourner au travail et à se comporter dignement et elle
exclura le prolétariat des fruits de sa victoire. »lxx
Les
ouvriers représentent aussi la plus grande majorité de la population. « Tous
les mouvements étaient jusqu’à ce moment-là des mouvements de minorités ou au
profit de minorités. Le mouvement ouvrier est le mouvement indépendant de la
majorité écrasante dans l’intérêt de la majorité écrasante. Le prolétariat, la
couche la plus basse de la société actuelle, ne peut pas se redresser sans que
cela fasse sauter toute la superstructure des couches qui forment la société
officielle. »lxxi
Pour
Marx et Engels il n’y a pas de doute possible : « De toutes les classes
face à la bourgeoisie, seule la classe ouvrière est réellement
révolutionnaire ».lxxii
Les
idées de Marx et Engels sont-elles encore valables aujourd’hui ?
La
situation de la classe ouvrière, comparée à celle de la deuxième moitié du
dix-neuvième siècle, a sans aucun doute changé profondément. Le nombre
d’agriculteurs et d’ouvriers d’industrie a baissé fortement tandis que le
secteur des services a fait un grand bond en avant. Mais, fondamentalement, la
nature du capitalisme n’a pas changé. Bien au contraire, ces modifications
n’ont fait que renforcer et consolider les relations capitalistes.
Le
capital est toujours dans les mains de très peu de gens. Plus encore, la
concentration de capital, comparée à celle du 19me siècle, a augmenté
terriblement. Aujourd’hui, 147 super-entreprises contrôlent 40% de l’économie
mondiale. 737 de ces « systems integrators » en contrôlent même 80%.
Les 110 plus grandes entreprises ont un chiffre d’affaires plus grand que le
pib de plus de 120 états nationaux.lxxiii
Exactement comme l’avait prévu Marx, le nombre de salariés a systématiquement
augmenté. Il n’y a jamais eu autant de salariés qu’aujourd’hui. Depuis 1990, il
y a 1,2 milliards de travailleurs en plus dans le monde.lxxiv
Les discussions à la mode sur « la fin de la classe ouvrière », le
postcapitalisme ou le postmodernisme, ont pour but de miner la combativité du
mouvement ouvrier. De toute façon, cela ne résiste pas à l’épreuve de la
réalité.
Le
plus grand nombre de travailleurs dans le monde n’a rien à perdre que ses
chaînes. Plus de 700 millions de travailleurs travaillent pour des salaires
ridicules, ce sont les « working poor ». A côté de cela, 1,4 milliard
de travailleurs ont de très mauvaises conditions de travail, surtout du travail
informel. 190 millions de personnes sont structurellement au chômage. En tout,
cela représente plus de 70% de l’ensemble de la population active.lxxv
Et la tendance actuelle ne va pas dans le bon sens. Depuis la crise bancaire de
2008, le nombre de revenus moyens a diminué dans beaucoup de pays.lxxvi
Les nouveaux jobs sont de plus en plus temporaires ou à temps partiel.
Aujourd’hui, une grande partie des revenus moyens est exposée à l’incertitude
qui caractérisait le travail au 19me siècle. En augmentant les cadences et la
flexibilité, les conditions de travail deviennent de plus en plus mauvaises
pour la plupart des travailleurs.
La
classe ouvrière ne doit toujours compter que sur elle-même et elle ne doit pas
espérer trop des forces (petites-)bourgeoises ou des partis. C’est une coalition des Verts et des
socio-démocrates qui avait lancé une attaque contre les salaires et les
contrats de travail et a ainsi entraîné l’Europe entière dans une spirale
descendante de destruction sociale.lxxvii
Ce sont les populistes d’(extrême) droite ou nationalistes à la Trump, Le Pen,
De Wever et Cie qui représentent soi-disant l’homme ordinaire, mais qui en fait
sont les coursiers des grands groupes du capital.
5.
L’importance de l’organisation et de l’unité
Pour
Marx, la classe ouvrière est la véritable classe révolutionnaire, constituant
le lien entre la vieille et la nouvelle société. Cependant, cette
transformation vers une nouvelle société ne se produira pas spontanément. Elle
ne se produira pas non plus par un grand changement de mentalités ou en
adoptant un autre style de vie personnel. Les ouvriers se voient confronter à
un ennemi fort, et ils devront tout faire pour construire des rapports de
forces. Ils devront donc s’organiser. « Il va absolument de soi que, ne
fût-ce que pour être en mesure de lutter, la classe ouvrière doit s’organiser
en tant que classe. »lxxviii
L’histoire
a démontré que l’organisation de la classe ouvrière était décisive pour les
acquis sociaux. Dans la plupart des cas, ces acquis ont été arrachés aux
parlements. Sans les grèves nationales, il n’y aurait pas de suffrage
universel, et le travail des enfants serait toujours d’actualité. Le congé
payé, le salaire minimum, les pensions, les allocations de chômage, les
allocations familiales, etc. sont tous dus à la dure lutte sociale des
générations antérieures.
Jusqu’aux
années cinquante, ces grèves avaient un caractère offensif. Après, elles ont eu
un caractère plus défensif : lutter pour préserver autant que possible
l’Etat-providence. Dans la lutte sociale, le taux d’organisation est
déterminant. Plus forts sont les syndicats, plus ils garantissent l’édification
et la préservation de l’Etat-providence social. Les pays qui ont le plus haut
taux de syndicalisation disposent des meilleurs systèmes de sécurité sociale et
connaissent une pauvreté moindre. Inversement, les pays qui ont un faible taux
de syndicalisation sont confrontés à plus de pauvreté et plus de problèmes au
niveau de la criminalité, la santé, etc.lxxix
Pour
Marx, organiser la classe ouvrière impliquait au moins trois choses.
D’abord,
il faut avoir une vision et une stratégie à long terme. Certes, les ouvriers
doivent se battre pour avoir de meilleures conditions de travail, mais toujours
en ayant bien en vue le but final. « De temps à autre, les ouvriers
triomphent ; mais c’est un triomphe passager. Le véritable résultat de leurs
luttes est moins le succès immédiat que l’union de plus en plus large des
travailleurs. » lxxx
Les travailleurs doivent prendre conscience du fait que « ‘l’émancipation
économique de la classe ouvrière est le but que tout mouvement politique doit
poursuivre ».lxxxi
En
deuxième lieu, l’unité est une condition décisive du succès. Confronté à une
série de défaites, Marx constatait « que tous les efforts tendant vers ce
but ont jusqu’ici échoué, faute de solidarité entre les travailleurs des
différentes professions dans un même pays et d’une union fraternelle entre les
classes ouvrières des divers pays ».lxxxii
L’élite aime à promouvoir cette division. Elle a tout intérêt à diviser la
population travailleuse en interne et à monter les uns contre les autres. Le
nationalisme et le racisme sont des outils pratiques pour aboutir à cette fin.
Ils détournent l’attention des contradictions de classe et dissimulent l’élite.
Ils amènent les ouvriers à se battre avec ceux d’en bas au lieu de ceux d’en
haut. Ils font oublier la fracture scandaleuse entre les riches et les pauvres
et le fait que la population travailleuse en fait les frais. Le nationalisme et
le racisme constituent le tendon d’Achille du mouvement ouvrier.
Marx
en parlait à l’occasion des tensions entre les ouvriers anglais et irlandais en
Angleterre. Au 19e siècle, la Grande-Bretagne comptait beaucoup de
travailleurs étrangers venus d’Irlande. Les Irlandais parlaient la même langue
que les Britanniques, mais ils étaient beaucoup plus pauvres et pratiquaient
une autre religion. L’élite britannique attisait sciemment les tensions afin de
renforcer sa propre position et affaiblir le mouvement ouvrier. « Tous
les centres industriels et commerciaux d’Angleterre ont maintenant une classe
ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires anglais et prolétaires
irlandais. L’ouvrier anglais ordinaire déteste l’ouvrier irlandais en tant que
concurrent qui abaisse son niveau de vie. … Des préjugés religieux, sociaux et
nationaux le dressent contre l’ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à
peu près comme les Blancs pauvres vis à vis des Noirs dans les anciens Etats
esclavagistes des États-Unis. … L’Irlandais voit en lui à la fois le complice
et l’instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme
est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues
humoristiques, bref par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir.
Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise,
en dépit de son organisation. C’est aussi le secret de la puissance persistante
de la classe capitaliste qui s’en rend parfaitement compte. »lxxxiii
Aux
États-Unis, la division au sein de la classe ouvrière n’était pas tellement
basée sur la religion ou la nationalité mais notamment sur la couleur. Au 19e
siècle avancé, une grande partie de la population noire vivait en esclavage. Le
racisme et la discrimination y pullulaient. Selon Marx, la classe ouvrière
blanche devait s’occuper du sort de ses frères et sœurs noirs. L’émancipation
de la classe ouvrière était l’affaire de tous les ouvriers. Tant qu’une
partie était opprimée, aucun soulagement pour le reste n’était possible. « Aux
États-Unis d’Amérique du Nord, tout mouvement ouvrier autonome a été paralysé
tant que l’esclavage défigurait une partie de la république. Le travail des
blancs ne peut pas s’émanciper là où le travail des noirs demeure marqué
d’infamie. » lxxxiv
Ce
sont des paroles d’une actualité brûlante. Les politiques de droite et
d’extrême-droite s’amusent à opposer les divers groupes de la population l’un
contre l’autre. Le mouvement ouvrier ne peut pas se faire piéger. Etant
divisée, la classe ouvrière ne pourra pas affronter l’élite. En revanche, une
attitude de solidarité peut justement lui donner des ailes. C’était en tout cas
la leçon des Etats-Unis. « Mais la mort de l’esclavage a aussitôt fait
éclore une vie nouvelle et régénérée. Le premier fruit de la guerre civile a
été la lutte pour la journée de travail de 8 heures. »lxxxv
Outre
l’unité et une vision à long terme, le mouvement ouvrier a aussi besoin d’un
relais politique. « Contre ce pouvoir collectif des classes possédantes
le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti
politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes
possédantes. »lxxxvi
Au milieu du 19e siècle, le mouvement ouvrier se trouvait encore dans un stade
embryonnaire. Les ouvriers étaient encore principalement organisés au niveau
local et sectoriel ; ils ne disposaient pas encore d’un propre parti
ouvrier. S’ils voulaient devenir un facteur significatif et savoir résister à
leur puissant ennemi, ils devaient créer un parti révolutionnaire. Marx et
Engels arrivent à cette conclusion après les révoltes révolutionnaires échouées
de 1848 dans une série de villes européennes. « Ce n’est point par ses
conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s’est frayé la
voie ; au contraire, c’est seulement en faisant surgir une contre-révolution
compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le
parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment
révolutionnaire. »lxxxvii
Les syndicats sont nécessaires pour les luttes directes, comme les
revendications salariales et les conditions de travail. Mais, pour arriver au
but final, une société juste où l’exploitation n’existe plus, il faut un parti
politique. « La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les
luttes économiques doit aussi servir de levier pour sa lutte contre le pouvoir
politique de ses exploiteurs. »lxxxviii
6.
L’État du 1 %
Dans les points 2 et 3, nous avons vu que la population
travailleuse se trouve dans une position faible et soumise par rapport aux
capitalistes. Elle a cependant un grand avantage : elle représente l’écrasante
majorité de la population. Et puisque la production s’organise de plus en plus
dans des grandes unités, le capitalisme a, pour ainsi dire, ‘réuni’ les
ouvriers et les employés, ce qui constitue une menace potentielle pour les
rapports d’exploitation.
C’est
à ce point que la classe dirigeante fait appel à l’Etat pour protéger son
pouvoir et ses privilèges. Nul autre qu’Adam Smith, le fondateur du libéralisme
classique, ne l’a dit avec moins d’équivoque. « Le gouvernement civil,
institué pour défendre la propriété, est en réalité institué pour défendre les
riches contre les pauvres, ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent
rien. »lxxxix
L’appareil
de l’État fut un des sujets centraux chez Marx et Engels : « Au fur et
à mesure que le progrès de l’industrie moderne développait, élargissait,
intensifiait l’antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir
d’État prenait de plus en plus le caractère d’un pouvoir public organisé aux
fins d’asservissement social, d’un appareil de domination d’une classe. »xc
Ils concluent : « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité
qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière ».xci
L’État
doit permettre aux capitalistes d’encaisser un maximum de profit. Cela signifie
protéger la propriété privée des moyens de production et créer les conditions
favorables à l’usurpation de la plus-value. Ce dernier est réalisé par L’État,
entre autres, en délimitant les marges des négociations salariales, en limitant
la position de pouvoir des syndicats, en fixant la marge de manœuvre légale en
cas de conflits sociaux (grèves, occupations des lieux de travail) etc.
En
clair, la classe capitaliste règne, mais elle ne gouverne pas. En règle
générale, la classe dominante laisse la gestion à une caste politique censée
servir ses intérêts à long terme. Dans une lettre à Karl Marx, Engels
parle d’une « oligarchie capable de s’occuper de la gestion de l’Etat
et de la société défendant les intérêts de la bourgeoisie en échange d’une
indemnisation convenable ».xcii
L’élite économique ne gouverne pas de façon directe mais cherche du
personnel politique pour le faire. « La richesse y exerce son pouvoir
d’une façon indirecte, mais d’autant plus sûre. D’une part, sous forme de
corruption directe des fonctionnaires, … d’autre part, sous forme d’alliance
entre le gouvernement et la Bourse. »xciii
L’État
est une sorte de cloche politique qui sert à neutraliser et à couvrir les
contradictions économiques. La cohésion, impossible dans la sphère économique à
cause de la contradiction entre le travail et le capital, se créé dans la
sphère politique. « Mais pour que les antagonistes, les classes aux
intérêts économiques opposés, ne se détruisent pas, elles-mêmes et la société,
en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus
de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’«
ordre ». Ce pouvoir, issu de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et
lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État. »xciv
Le
fait que la classe dominante sous-traite cette mission à des ‘tiers’, qui en
outre sont élus, permet de sauver les apparences de la neutralité et de
l’impartialité. On fait semblant que l’État est au-dessus des classes et qu’il
représente ‘l’intérêt général’ : « Ne fût-ce que pour parvenir à ses
fins, la classe dominante est obligée de présenter son intérêt comme étant
l’intérêt commun de tous les membres de la société. »xcv
Le
mythe de la neutralité et de l’intérêt général est vite détruit. ‘L’union entre
le gouvernement et la bourse’ à elle seule le démontre déjà. Ainsi, Jean-Luc
Dehaene, ancien premier ministre de la Belgique, siégeait dans plusieurs
entreprises, comme Umicore, Lotus, Dexia et AB Inbev. Sigfried Bracke,
président de la Chambre, était – avant d’avoir été obligé de démissionner – un
conseiller auprès de Telenet, une grande société belge de télécommunications.
Karel de Gucht, ancien commissaire européen du Commerce, siège dans Proximus et
ArcelorMittal, et José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission,
travaille désormais chez la banque d’affaires Goldman Sachs, un des
responsables de la crise financière de 2008.
Pas
étonnant que les multinationales paient moins d’impôts que les femmes de
nettoyage qui y travaillent. L’élite fait de son mieux pour mettre en avant la
neutralité de l’État, mais ce n’est qu’une façade. L’Etat choisit son camp, à
chaque fois. La police et la justice ne protègent pas les sans-abris contre les
spéculateurs, elles ne protègent pas les grévistes contre les briseurs de
grève, elles ne protègent pas les travailleurs licenciés contre des chefs
d’entreprises qui veulent réaliser ailleurs un pourcent de profit en plus,
elles ne poursuivent pas les hauts banquiers qui ont pillé notre économie en
2008, etc.
L’État
assume une position neutre tant que le statu quo n’est pas en jeu et tant que
les classes subalternes ne l’emportent pas. Au moment où cela risque de se
passer, elles seront confrontées aux canons à eau et au gaz lacrymogène, ou les
fonds sont coupés. Et si tout cela ne suffit pas, des tanks interviendront. « La
civilisation et la justice de l’ordre bourgeois se montrent sous leur jour
sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs
maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice apparaissent comme une
cruauté sans masque et une vengeance sans loi. »xcvi
Au moment où les intérêts du capital sont en danger « l’État
enserre, contrôle, réglemente, surveille et tient sous tutelle la société civile,
de ses manifestations les plus larges jusqu’à ses mouvements les plus
infimes ».xcvii
La
classe capitaliste est capable, si elle le veut, de tenir à la gorge l’économie
d’un pays. C’est ce qui s’est passé au Chili, juste avant le coup d’état en
1973, au Venezuela en 2003 et en Grèce en 2015. L’État bourgeois est, pour
ainsi dire, mené en laisse par le capital. La laisse peut être longue ou courte
et donne une idée de la marge de manœuvre du gouvernement, mais finalement la
laisse est bien là.
À
cause de cette laisse, Marx n’avait pas une haute opinion des élections. « Au
lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe
dirigeante va « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le
suffrage universel devrait être au service du peuple. »xcviii
Marx estimait que la démocratie était trop précieuse pour la confier
seulement à des politiciens professionnels ou à des parlements. La démocratie
doit être ancrée au niveau local, proche du peuple et émanant du peuple. Selon
lui, le procès décisionnel devait être porté par ce qu’on appellerait
aujourd’hui la société civile. Son modèle était celui de la Commune de Paris,
une révolte populaire à Paris, en 1871, que l’armée française réprimait dans le
sang après deux mois.
Ce
qui n’empêche pas que la lutte électorale et le parlement soient des
instruments utiles pour la lutte ouvrière. Engels dit en 1895 : « Avec
l’agitation électorale, il [le suffrage universel] nous a fourni un moyen qui
n’a pas son égal pour entrer en contact avec les masses populaires là où elles
sont encore loin de nous, pour contraindre tous les partis à défendre devant
tout le peuple leurs opinions et leurs actions face à nos attaques. Et il a
ouvert à nos représentants au Reichstag une tribune du haut de laquelle ils ont
pu parler à leurs adversaires au Parlement ainsi qu’aux masses au dehors, avec
une tout autre autorité et une tout autre liberté que dans la presse et dans
les réunions. … En utilisant ainsi efficacement le suffrage universel le
prolétariat avait mis en œuvre une méthode de lutte toute nouvelle et elle se
développa rapidement. »xcix
Mais,
finalement, il faudra renverser les rapports de force. « Le but
immédiat … est la constitution du prolétariat en classe, le renversement de la
domination bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par les
travailleurs. »c
7.
Le socialisme à l’ordre du jour
« De
là la grande influence civilisatrice du capital ; il a produit un niveau de
civilisation tel que toutes les autres ont semblé être des développements
locaux de l’humanité et une idolâtrie de la nature. »ci
Tout
au long de l’histoire mondiale, l’humanité a vécu la privation et la misère
noire. Depuis la révolution agricole, il y a bien eu une production
excédentaire, mais celle-ci n’était pas investie dans l’économie. Elle était
prélevée par l’élite pour construire des palais ou des temples, pour vivre une
vie de luxe et pour entretenir une armée. Pendant des siècles, la richesse
produite restait constante et n’augmentait uniquement en fonction de la
croissance de la population. Ce n’est qu’au moment où la plus-value est
réinvestie dans la sphère de la production que l’histoire s’accélère. Du
capital nouveau permet d’acquérir de nouvelles et meilleures machines et de
développer la production. Ce basculement s’est produit plus au moins au milieu
du dix-neuvième siècle. A partir de là, la création de la richesse sur cette
planète a explosé.cii
Marx
a analysé ce processus historique en détail. « La grande industrie a
créé le marché mondial, préparé par la découverte de l’Amérique. Le marché
mondial a accéléré prodigieusement le développement du commerce, de la
navigation, des voies de communication. Ce développement a influencé en retour
l’extension de l’industrie. »ciii
Marx constatait que les forces productives (outils, machines) avaient une
tendance historique à devenir meilleures et plus efficaces. « Le
résultat est une tendance au développement général des forces productives, de
la richesse en tant que telle. »civ
Il fallait de moins en moins de temps « pour produire du blé, du
bétail… … Gagner du temps, voilà à quoi se résume finalement toute
économie. »cv
La
bourgeoisie avait la mission historique de réaliser cette accélération dans
l’histoire. « Depuis un siècle à peine, la bourgeoisie a créé des
forces productives plus nombreuses et plus gigantesques que ne l’avaient fait
toutes les générations passées réunies. »cvi
Cependant, à un moment donné, le capitalisme a « atteint son but
historique. Dès que ce but était atteint, le développement ultérieur est
apparu comme un déclin. »cvii
Le capitalisme rencontre ses propres limites et la bourgeoisie n’est plus en
mesure de continuer à jouer son rôle historique. « A un certain stade
de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent
en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est
que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels
elles s’étaient mues jusqu’alors. »cviii
Dans
le capitalisme, la production ne vise uniquement que l’appât du gain d’un petit
groupe de propriétaires privés et ne se fabrique pas en fonction des besoin
sociaux ou des opportunités de développement de la grande majorité. « Le
monopole du capital devient une entrave au mode de production qui a mûri en
même temps que lui et sous sa domination. »cix
C’est
plus que jamais d’actualité. Jamais l’abîme entre ce qui est possible et ce qui
est vraiment réalisé n’a été aussi grand qu’aujourd’hui. Plus que jamais les
rapports de production empêchent un développement digne. Au niveau mondial, la
richesse produite aujourd’hui permet à chaque famille de deux adultes et trois
enfants de disposer d’un revenu potentiel de 3.500 euros. cx
En d’autres termes, il existe assez de richesse pour que tout le monde mène une
vie plus que décente. Or, un tiers de la population mondiale ne dispose pas de
sanitaire de base, et un quart ne dispose pas d’électricité. Un septième vit
dans un bidonville et un neuvième ne dispose pas d’eau potable.cxi
L’industrie
alimentaire, d’une valeur de 4000 milliards de dollars, est entre les mains de
quelques monopoles. Ils contrôlent presque toute la chaîne alimentaire, du
début jusqu’à la fin, et n’opèrent qu’en fonction de leurs profits. Ce sont
leurs anticipations de bénéfices et non les besoins et nécessités qui déterminent
qui pourra ou non disposer de nourriture dans ce monde. A présent, plus de 800
millions de personnes souffrent de la faim alors qu’il est possible de produire
de l’alimentation pour 12 milliards de personnes. Aux États-Unis, la nourriture
jetée suffirait à elle seule à nourrir tous les affamés.cxii
La faim dans le monde n’est pas une question de trop peu de capacité mais de
mauvais rapports de propriété.
Le
FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, a
calculé qu’un investissement public annuel de 24 milliards de dollars – soit
0,6 % du produit annuel du secteur agricole – complété d’investissements
privés, permettrait d’augmenter le produit mondial brut de 120 milliards de
dollars. La raison est que les personnes concernées vivent plus longtemps et en
meilleure santé et peuvent donc produire plus.cxiii
Il s’agit donc d’un rendement de 500 pourcent ! Et ne parlons même pas des
millions de vies humaines que nous pourrions sauver. Or, le capitalisme est
incapable de faire cet investissement évident et nécessaire.
La
situation sanitaire est aussi hallucinante. Au début de cette année, le géant
pharmaceutique Pfizer a décidé d’arrêter les recherches sur les maladies
d’Alzheimer et Parkinson. Non pas parce que cela ne serait plus nécessaire, au
contraire, près de 60 millions de personnes souffrent d’une de ces deux
maladies, mais parce que le bénéfice est trop insuffisant. Ces dernières
années, des millions de personnes sont décédées du sida parce que les
entreprises pharmaceutiques ont bloqué l’accès à des médicaments bon marché.
Chaque année, environ 600.000 personnes meurent de malaria. Cette maladie
aurait pu être éradiquée il y a longtemps mais, là aussi, il y a trop peu à
gagner. Pour maîtriser la maladie, il suffirait de 2,4 milliards de dollars
supplémentaires par an. Quelque 32.000 milliards de dollars sont parqués dans
les paradis fiscaux… Les entreprises pharmaceutiques dépensent 19 fois plus en
marketing qu’à la recherche fondamentale. C’est tout dire.cxiv
Et
puis le travail ! Marx constatait que, au fil du temps, la productivité
continuait à augmenter, libérant ainsi plus de temps pour l’épanouissement
intégral de l’individu. « Moins une société a besoin de temps pour
produire du blé, du bétail, etc., plus elle a du temps pour d’autres
productions, matérielles ou spirituelles. … Le gain de temps sur le travail
revient à avoir plus de temps libre, c.à.d. du temps pour l’épanouissement de
l’individu. … Du temps libre aussi bien pour paresser que pour des activités
plus évoluées. »cxv
Le fait que l’on ne vit plus pour travailler, mais inversement,
créé, selon Marx, un nouveau type d’homme : « ce temps libre
transforme son possesseur en un sujet différent. »cxvi
Le niveau culturel augmente, le plaisir est plus sophistiqué. Le travailleur
éprouve « un plaisir plus grand, même mentalement, il s’investit dans
son propre intérêt , il lit des journaux, assiste à des conférences , éduque
ses enfants, développe ses goûts, etc. »cxvii
En
1830, un ouvrier belge travaillait 72 heures par semaine. En 1913, c’était 60
heures de travail hebdomadaire, en 1940, 48 heures, et, en 1970, 40 heures.cxviii
La raison est très simple : la productivité, ce qu’un ouvrier créé en valeur
par heure en moyenne, n’a pas cessé d’augmenter. Et c’est toujours le cas. En
1970, un ouvrier produisait en moyenne huit fois plus qu’il y a cent ans. Au
début de ce siècle, c’était déjà 14 fois plus.cxix
On pourrait donc s’attendre à ce que le temps de travail au travers le temps
continue à diminuer. Keynes, un des économistes les plus renommés, prévoyait
déjà en 1930 que ses petits-enfants ne devraient travailler que 15 heures par
semaine pour mener une vie confortable.cxx
Mais c’était sans tenir compte des rapports de propriété capitalistes. Au lieu
de faire diminuer le nombre d’heures de travail, on nous oblige à travailler toujours
plus et plus longtemps pour satisfaire à la « fringale insatiable de
surtravail ».cxxi
(Le surtravail est le travail non rémunéré qui est la base du profit du
capitaliste, voir point 2).
Le
capitalisme a incontestablement produit beaucoup de richesse, mais de façon
très inégale. Or, combien de temps voulons-nous encore attendre de satisfaire
les besoins de base de tous ? Le capitalisme se comporte de façon inhumaine et
antisociale lorsque le profit l’exige. Il détruit la nature et le climat si le
profit le nécessite. Sous les rapports de propriété capitalistes, il est
impossible de nourrir tout le monde, de prévoir des médicaments à un prix
raisonnable pour tous, de travailler pour vivre au lieu du contraire. « La
propriété privée moderne, la propriété bourgeoise, est l’ultime et la plus
parfaite expression du mode de production et d’appropriation qui repose sur des
antagonismes de classe, sur l’exploitation des uns par les autres. »cxxii
Ces propos sont plus actuels que jamais.
Le
capitalisme a créé assez de plus-value pour éliminer définitivement la pénurie
et donc l’existence de classes. Or, seul le socialisme est capable de le
réaliser. « Si l’homme est formé par son environnement, il faut faire
en sorte que les circonstances soient humaines. »cxxiii
Pour réaliser cela, il faudra que l’économie ne soit plus entre les mains d’une
petite élite. « Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas
l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété
bourgeoise. … En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans
cette seule formule : suppression de la propriété privée. »cxxiv
8.
Intérêt pour la nature
La conscience écologique au sein du monde industriel s’est
créée il y a cinquante ans, notamment sous l’impulsion du Club de Rome. Ces dix
dernières années, la dégradation climatique a mis au point cette conscience. Au
19e siècle, une telle conscience n’était pas encore présente. Il
régnait alors une croyance dans le progrès, basée sur les grandes percées
technologiques de l’époque. Marx était un enfant de son temps, et un certain
optimisme technologique ne lui était pas étranger. Cependant, en même temps, on
trouve dans ses écrits aussi une analyse profonde de l’impact de l’homme sur la
nature, ce qui est assez unique dans son temps. Il constate que la domination
illimitée de l’homme sur la nature est inhérente au capitalisme. Il était un
des rares penseurs du 19e siècle qui a abordé si franchement
l’intérêt pour la nature. Ce qui fait de lui un pionnier de la pensée
écologique actuelle.
Déjà
dans ses premiers écrits, Marx intégrait les facteurs géographiques et
climatologiques dans son analyse, ainsi que l’effet de l’homme sur ces
facteurs. « Toute historiographie doit partir de facteurs naturels et
de leur modification par l’action des hommes au cours de l’histoire. »cxxv
La théorie de la valeur, qui est au centre de l’œuvre de Marx, ne se limite pas
uniquement au travail. Le travail ET la nature sont les sources de la
plus-value. « Le travail … n’est pas la seule source de richesse
matérielle. Comme disait William Petty, la richesse a pour père le travail et
pour mère la terre. »cxxvi
Pour
survivre, l’homme doit travailler et maîtriser la nature. Contrairement à
l’animal, « l’homme modifie la nature et il la domine »,cxxvii
disait Engels. Marx et Engels rejetaient toute approche romantique
ou sentimentale de la mère la terre. « La science moderne et
l’industrie moderne ont révolutionné toute la nature et ont mis fin à
l’attitude enfantine de l’homme vis à vis de la nature et à d’autres formes
d’immaturité. »cxxviii
L’homme
étant subordonné à la nature, il en dépend aussi et il doit en prendre soin. « ‘L’homme
vit de la nature.’ Cela signifie que la nature est son corps avec lequel il
doit maintenir continuellement un processus d’échange pour ne pas
mourir. »cxxix
« Ainsi les faits nous rappellent à chaque instant que nous ne régnons
absolument pas sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme
quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec
notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous en faisons partie et que toute
notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble
des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir
judicieusement. »cxxx
« Une société entière, une nation et même toutes les sociétés
contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n’en ont
que l’usufruit, la jouissance et doivent la léguer aux générations futures
après l’avoir améliorée en bon père de famille. »cxxxi
Cette dernière citation a été écrite il y a 150 ans, mais elle aurait pu
être extraite d’un discours lors d’un sommet récent sur le climat.
Marx constatait que le développement économique dans son temps
avait un grand impact négatif sur l’environnement. « Avec
la croissance de la production et l’augmentation de la productivité du travail
… on voit s’accroître la quantité de matières premières utilisées dans le
processus de production quotidien. »cxxxii
« La croissance de l’exploitation et de
l’industrie en général a provoqué une telle destruction des forêts, que tout ce
qui est fait pour son maintien ou pour sa réhabilitation semble infime. »cxxxiii
L’équilibre entre l’homme et la nature est
perturbé, ce qui s’exprime, entre autres, par le tarissement des terres
agricoles. « Avec la prépondérance toujours croissante de la population
urbaine qu’elle entasse dans de grands centres, la production capitaliste
amasse d’un côté la force motrice historique de la société et perturbe d’un
autre côté le métabolisme entre l’homme et la terre, c’est-à-dire le retour au
sol des composantes de celui-ci usées par l’homme sous forme de nourriture et
de vêtements. La production capitaliste détruit donc l’éternelle condition naturelle
d’une fertilité durable du sol. »cxxxiv
« L’exploitation et le gaspillage des ressources des sols … remplacent la
culture consciente et rationnelle… ce qui est une condition nécessaire pour
l’existence et la perpétuation de la chaîne alimentaire pour les générations
futures de l’homme. »cxxxv
Sa
conclusion est claire : « La production capitaliste ne développe la
technique et la combinaison des processus de production sociaux qu’en ruinant
dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le
travailleur. … Plus un pays – comme par exemple les États-Unis d’Amérique –
part de la grande industrie comme fondement de son développement et plus ce
processus de destruction est rapide. »cxxxvi
Engels nous met en garde : « Ne nous flattons pas trop de nos victoires
sur la nature. Elle se venge de chacune d’elles. »cxxxvii
Marx
ne se contente pas de cette conclusion. Il cherche aussi pourquoi le
capitalisme exploite la nature à outrance. Dans son appât de gain, le capital
réduit tout à une marchandise. Les biens sont réduits à leur valeur d’échange,
au détriment de leur valeur d’usage. « Un produit devient une
marchandise qui peut être échangée. Une marchandise est transformée en valeur
d’échange … en argent. »cxxxviii
Rien n’échappe à cette cupidité pas même « les ossements des
Saints ». La nature aussi disparaît dans « la grande
cuve à distiller de la société pour en ressortir comme monnaie de
cristal ».cxxxix
Le capitalisme ne voit pas l’environnement naturel comme quelque chose à
chérir et à savourer, mais comme un moyen de soif du gain et à atteindre encore
plus d’accumulation de capital. « Pour la première fois, la nature est
devenue un pur objet utilitaire pour l’homme : elle n’est plus reconnue comme
une force existant par elle-même. »cxl
Un
système poussé par l’accumulation de capital est un système qui ne s’arrête
jamais. Le capitalisme est comme une bicyclette qui doit toujours rouler sous
peine de se renverser. Tôt ou tard, la finitude de la nature entre en
contradiction avec le soif de profit insatiable. « Telle est la loi [la
loi de la concurrence qui mène à l’accumulation] qui rejette constamment la
production bourgeoise hors de son ancienne voie et qui contraint toujours le
capital à tendre les forces de production du travail. … La loi qui ne lui
accorde aucun repos et lui murmure continuellement à l’oreille : Avance !
Avance ! »cxli
La contrainte d’accumulation suite à la concurrence fait que les
capitalistes ont peu de scrupules. « Après moi le déluge ! Telle est la
devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. »cxlii
Pour
mettre fin à cette déprédation, il faut, selon Marx, abroger la propriété
privée. « Du point de vue d’une organisation économique meilleure de la
société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe
terrestre paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d’un individu
sur un autre. »cxliii
La relation perturbée entre l’homme et la nature ne pourra être réparée que
si la force aveugle de l’accumulation de capital est maîtrisée et que les
moyens de production sont devenus propriété commune. « Ce communisme …
est la solution définitive pour supprimer l’opposition entre l’homme et la
nature, et des hommes entre eux. »cxliv
Naomi Klein, écrivaine et activiste renommée, arrive à une
conclusion semblable. Dans son livre sur le climat, elle dit que le monde se
voit confronter à un choix décisif : soit on sauve le capitalisme, soit on
sauve le climat.cxlv
Ce choix se pose de façon très nette dans le secteur de l’énergie fossile,
principal responsable de l’émission du CO2. Les
200 plus grandes sociétés de pétrole, gaz et charbon ont une valeur de marché
commune de 4.000 milliards de dollars et font des bénéfices annuels de dizaines
de milliards.cxlvi
Si nous voulons maintenir l’augmentation de la
température en dessous de 2 °C, nos géants énergétiques ne doivent pas toucher
à 60 à 80 % de leurs réserves.cxlvii
Dans le cadre du capitalisme, c’est désastreux pour les perspectives de profit.
Cela ferait immédiatement s’effondrer leur valeur boursière.
Ces
géants ne tolèrent aucune atteinte à leur empire économique ou financier, même
s’il y a des considérations écologiques, voire si l’avenir de la planète est
menacé. Chaque année, sans qu’on y fasse obstacle, ils investissent encore des
centaines de milliards de dollars dans la recherche de nouvelles réserves.cxlviii
Entretemps, les valeurs boursières des monopoles énergétiques se portent très
bien. En accord avec les marchés financiers et les
actionnaires, ils supposent, comme si de rien n’était, que le monde politique
ne fera pas ce qu’il promet en ce qui concerne les objectifs climatiques.
D’après Jeffrey Sachs, conseiller aux Nations Unies « les lobbys sont
en train de gagner et … le reste du monde en train de perdre, surtout parce que
les lobbys des combustibles fossiles sont bien organisés. … Ceci doit changer
d’urgence avant qu’il ne soit trop tard. »cxlix
Dans
le cadre de la logique de profit, le réchauffement climatique ne peut pas être
arrêté. Selon The Economist, porte-parole de l’élite économique
mondiale, le prix financier est trop élevé pour stopper le réchauffement
climatique. De là leur conclusion cynique : « une action globale
n’arrêtera pas le changement climatique. Le monde doit chercher comment vivre
avec ». Or, ne nous laissons pas abattre pour autant, suite au
réchauffement climatique, il y a, d’après The Economist encore beaucoup
de profit à faire. Avec toutes ces nouvelles digues à construire, les
entreprises de la construction ont un bel avenir devant elles. Avec toutes les
catastrophes à venir, les sociétés d’assurances feront de belles affaires. Le
réchauffement climatique sera aussi une bonne chose pour la médecine tropicale
… cl
Après nous le déluge, à prendre très littéralement.
La
politique climatique est trop importante pour la laisser à des géants
énergétiques et à leur logique du profit. Il faut briser leur toute puissance
afin de créer une marge pour une politique climatique responsable. Ou, selon
les termes de Marx, il importe « de réguler les échanges avec la nature
de façon rationnelle. Nous devons les soumettre à un contrôle collectif au lieu
qu’elles nous contrôlent comme une puissance aveugle. »cli
Voilà le grand défi auquel est confrontée la génération actuelle.
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introducción -, La Havane 2004.
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2016.
Miliband R., Politieke theorie van het marxisme, Amsterdam
1977.
Van Bladel L., Kerngedachten van Karl Marx, Anvers
1981.
Notes
i Nous nous concentrons en
premier lieu sur les textes de Marx. Nous les complétons avec des citations de
Friedrich Engels, son ami et compagnon d’armes. Ils partagèrent les mêmes idées
et écrivirent ensemble un grand nombre de textes. Friedrich Engels rédigea et
édita aussi beaucoup d’œuvres importantes de Marx. La plupart des citations
sont des traductions propres; les bonnes traductions existantes en français ont
été reprises.
ii Le pib – le produit
intérieur brut – est la production annuelle de biens et de services d’un pays.
En 2016, le pib de la zone euro était 20% en dessous des tendances avant la
crise. Financial Times 11 novembre 2015, p. 9; http://www.ft.com/intl/cms/s/0/373793a2-86cf-11e5-9f8c-a8d619fa707c.html.
iii Financial Times, 16 septembre 2009, p.
13;. http://www.ft.com/intl/cms/s/0/b24477de-a226-11de-9caa-00144feabdc0.html#axzz2niuBeAH0.
iv Marx K., Le Capital, Livre
III, Le procès d’ensemble de la production capitaliste, 1894, http://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-3.pdf, p. 121.
v Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, 1844, https://www.ucc.ie/archive/hdsp/Literature_collection/Manifest_French.pdf, p. 11.
vi Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 222.
vii
Marx K., Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie (Rohentwurf),
1858, http://dhcm.inkrit.org/wp-content/data/mew42.pdf, p. 661.
viii Marx K., Le Capital
Critique de l’économie politique. Livre I; 1867, http://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf, p. 351.
ixhttp://siteresources.worldbank.org/EXTPREMNET/Resources/TDAT_Book.pdf, p. 261; http://www.oxfamsol.be/nl/IMG/pdf/bp174-cautionary-tale-austerity-inequality-europe-120913-en.pdf, p. 22.
x Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 124.
xi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 11.
xii Financial Times, 3 janvier 2013; http://www.ft.com/intl/cms/s/2/dafa4a2c-486e-11e2-a1c0-00144feab49a.html#axzz2KIkH3LkW; Deshpande A. & Nurse
K. (eds.), The Global Economic Crisis and the Developing World: Implications
and Prospects for Recovery and Growth, New York, 2012, p. 1.
xiii
Financial Times, 1-2 Novembre 2011, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/473f53da-0310-11e1-899a-00144feabdc0.html#axzz2UDYGNQV0.
xiv
Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung. Politisch-ökonomische
Revue, 1850, http://www.mlwerke.de/me/me07/me07_421.htm.
xv https://hbr.org/2008/09/new-thinking-for-a-new-financial-order; http://uk.businessinsider.com/global-financial-assets-2015-2?international=true&r=UK&IR=T; https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD.
xvi http://www.bis.org/statistics/dt1920a.pdf. Un dérivé, ou produit dérivé, est une
appellation générale de produits boursiers dont le taux est basé sur un autre
placement sous-jacent. Les dérivés financiers sont utilisés afin de réduire les
risques, mais surtout à des fins de spéculation. Les principales formes des
dérivés sont les options, futures, swaps et forwards. Cfr. Vandepitte M. en
Callewaert C., %Attac% tegen de dictatuur van het kapitaal,
Attac-Vlaanderen, 2000, p. 39-40; http://nl.wikipedia.org/wiki/Financiële_derivaten.
xvii http://blogs.ft.com/martin-wolf-exchange/2011/10/24/the-threat-of-the-volatility-junkie/;
cfr. http://www.iii.co.uk/investment/detail?code=cotn:LLOY.L&display=discussion&id=8953934&action=detail.
xviii Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 204.
xix Marx K., Grundrisse,
p. 335.
xx
Marx K., Capital. Volume III, p. 121.
xxi
Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung.
xxii
Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung.
xxiii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 11.
xxiv Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 357.
xxv Marx K., Le Capital.
Livre I, p.788.
xxvi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 422.
xxvii Pour simplifier, nous
faisons abstraction d’impôts et de salaire différé (partie du salaire consacrée
aux pensions, la sécurité sociale, …).
xxviii Les 500 plus grandes sociétés au
niveau mondial occupent 65 millions de personnes et ont généré, en 2014, un
profit de 1.700 milliards de dollars. http://fortune.com/global500/.
xxix La fortune de Frère est
estimée à 4,9 milliards d’euros. https://www.hln.be/geld/nieuwe-nummer-een-op-miljardairslijst-van-forbes-trump-zakt-verder-weg-en-belg-komt-top-300-binnen~afc6d6da/.
xxx Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 20.
xxxi Marx K., Le Capital
Critique de l’économie politique. Livre I, p. 89.
xxxii En Belgique, le revenu
disponible net s’élève à 28.700 dollars par personne sur base annuelle.
Converti en euros, cela revient à 8.650 euros par mois pour un ménage de deux
enfants et deux adultes. Source: http://www.oecdbetterlifeindex.org/countries/belgium/.
xxxiii
http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/binnenland/1.2281491; Wetenschappelijk Instituut
Volksgezondheid, Gezondheidsenquête 2013. Rapport 3: Gebruik van
gezondheids- en welzijnsdiensten, Brussel 2015, https://his.wiv-isp.be/nl/Gedeelde%20%20documenten/Summ_HC_NL_2013.pdf, p. 36; https://www.hln.be/geld/economie/4-op-10-vlamingen-kunnen-niet-sparen~a1176e4f/.
xxxiv http://www.standaard.be/cnt/dmf20160714_02385565; http://www.standaard.be/cnt/dmf20170814_03017672.
xxxv Un emploi coûte environ
50.000 euros par an. Cela fait 20.000 emplois par milliard d’euros. Avec les
retombées des impôts, contributions à la sécurité sociale d’un côté et moins
d’allocations de l’autre côté, cela peut facilement s’élever à 30.000 emplois
et plus. En outre, ces nouveaux emplois contribuent à la relance économique.
xxxvi Marx K, Grundrisse,
p. 58.
xxxvii Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 309.
xxxviii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 10-11.
xl Jamil Jonna R. &
Bellamy Foster J., ‘Marx’s Theory of Working-Class Precariousness. Its
Relevance Today’, Monthly Review, 1 avril 2016, https://monthlyreview.org/2016/04/01/marxs-theory-of-working-class-precariousness/#lightbox/0/.
xli Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 774-5.
xlii Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 321.
xliii Marx K., The Belgian
Massacres, https://www.marxists.org/archive/marx/iwma/documents/1869/belgian-massacre.htm.
xliv Marx K., Grundrisse,
p. 411.
xlv Marx K., Grundrisse,
p. 211
xlvi http://www.knack.be/nieuws/belgie/voorpublicatie-de-grote-pensioenroof-ze-pakken-onze-beste-jaren-af/article-longread-979693.html.
xlvii Marx K., Manuscrits de
1844, 1844, http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/manuscrits_1844/Manuscrits_1844.pdf, p. 56.
xlviiihttp://www.hln.be/hln/nl/38762/Geld-maakt-gelukkig/article/detail/3019906/2016/12/03/4-op-10-Vlamingen-kunnen-niet-sparen.dhtm;
https://www.hln.be/geld/economie/twee-op-de-drie-belgische-woningen-bewoond-door-eigenaar~a0bd47d9/; http://www.knack.be/nieuws/wereld/oxfam-steeds-meer-armoede-in-europa-rijken-hebben-te-veel-invloed-op-beleid/article-normal-603687.html.
xlix Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 6-7.
l Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 357.
li Marx K., Manuscrits de
1844, p. 78.
lii Engels F. & Marx K., Lettre
à Bebel, Liebknecht, Bracke, 17-18 septembre 1879, https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc085.htm.
liii Engels F., L’origine de
la famille, de la propriété privée et de l’état, 1884, https://matricien.files.wordpress.com/2012/03/engels-origine-de-la-famille.pdf, p. 78.
liv Marx K., Le 18 Brumaire
de Louis Bonaparte, 1851, http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/18_brumaine_louis_bonaparte/18_brumaine_louis_bonaparte.pdf, p. 12.
lv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 24.
lvi Marx K., Grundrisse,
p. 204-5. Dans le texte, Marx employait le terme ‘citizen’ pour identifier les
citoyens ‘libres’ dans une société esclavagiste.
lvii Engels F., 1880, Socialisme
utopique et socialisme scientifique, https://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/utopie.pdf, p. 41.
lviii Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, 1845, http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_Marx/ideologie_allemande/Ideologie_allemande.pdf, p. 17.
lix Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, p. 31.
lx Marx K., La guerre
civile en France, 1871,http://www.karlmarx.fr/documents/marx-1871-guerre-civile-france.pdf, p. 15.
lxi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 14.
lxii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 16.
lxiii Marx K., Grundrisse,
p. 507.
lxiv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 14.
lxv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 13.
lxvi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 16.
lxvii Le terme petit-bourgeois vient de
l’allemand et se réfère à la couche sociale entre la classe ouvrière et la
‘grande’ bourgeoisie. Il s’agit de contremaîtres, petits paysans, petits
entrepreneurs, etc.
lxviii
Engels F. & Marx K., Lettre à Bebel, Liebknecht, Bracke.
lxix Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 35.
lxx Marx K. & Engels F., Adresse
du Comité Central à la Ligue des communistes, 1850, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1850/03/18500300.htm.
lxxi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 15.
lxxii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 14.
lxxiii
http://arxiv.org/PS_cache/arxiv/pdf/1107/1107.5728v2.pdf; cfr. http://www.forbes.com/sites/bruceupbin/2011/10/22/the-147-companies-that-control-everything/; http://dstevenwhite.com/2012/08/11/the-top-175-global-economic-entities-2011/.
lxxv ILO, World Employment
Social Outlook. Trends 2018,
http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/—publ/documents/publication/wcms_615594.pdf, p 8.
http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/—publ/documents/publication/wcms_615594.pdf, p 8.
lxxvi Vacas-Soriano C. &
Fernández-Macías E., Europe’s Shrinking Middle Class, https://www.socialeurope.eu/europes-shrinking-middle-class.
lxxvii Mertens P., Comment
osent-ils ? La crise, l’euro et le grand hold-up, Bruxelles 2012, chapitre
2.
lxxviii Marx K., Critique du
Programme de Gotha, 1875, http://www.communisme-bolchevisme.net/download/Marx_Critique_du_programme_de_Gotha.pdf, p. 11.
lxxix http://www.progressiveeconomy.eu/sites/default/files/Progressive_Economy-JOURNAL_issue2.pdf, p. 13.
lxxx Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 13.
lxxxi Marx K., Statuts de l’Association
Internationale des Travailleurs, 1864,
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1864/00/18640000.htm.
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1864/00/18640000.htm.
lxxxii Marx K., Statuts de
l’Association Internationale des Travailleurs.
lxxxiii Marx K., Lettre à
Siegfried Meyer et August Vogt, 9 avril 1870, dans Marx K. & Engels F.,
Textes sur le colonialisme, Moscou 1977, 352-355 ; p. 354-5.
lxxxiv Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 386.
lxxxv Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 386.
lxxxvi Marx K. & Engels F., Les
prétendues scissions dans l’Internationale, 1872, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm.
lxxxvii Marx K., Les luttes des
classes en France, 1850, http://piketty.pse.ens.fr/files/Marx1850.pdf, p. 22.
lxxxviii Marx K. & Engels F., Les
prétendues scissions dans l’Internationale.
lxxxix
https://fr.wikisource.org/wiki/Recherches_sur_la_nature_et_les_causes_de_la_richesse_des_nations/Livre_5/1.
xc Marx K., La guerre
civile en France, p. 11.
xci Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 8.
xcii
Engels F., Brief aan Karl Marx, 13 avril 1866, https://www.marxists.org/archive/marx/works/1866/letters/66_04_13.htm.
xciii Engels F., L’origine de
la famille, de la propriété privée et de l’état, p. 76.
xciv Engels F., L’origine de
la famille, de la propriété privée et de l’état, p. 75.
xcv Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, p. 32.
xcvi Marx K., La guerre
civile en France, p. 22.
xcvii Marx K., Le 18 Brumaire
de Louis Bonaparte, p. 53.
xcviii Marx K., La guerre
civile en France, p.13.
xcix Engels F., Introduction
à ‘Les luttes de Classes en France’, 1895, https://www.marxists.org/francais/engels/works/1895/03/fe18950306.htm.
c Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 18.
ci Marx K., Grundrisse,
p. 339.
cii Les premiers capitalistes
étaient des capitalistes commerciaux. À partir de la fin du quinzième siècle,
ils ont gagné de l’argent grossier grâce au pillage, au vol, à la piraterie, au
commerce des esclaves, etc. Mais en tant que tels, ils n’ont pas augmenté la
richesse mondiale. Ce n’est que lorsqu’ils commencent à investir leur capital
dans la sphère de la production que l’accumulation de capital, et donc le
capitalisme, prend réellement forme. Source du graphique : http://www.krusekronicle.com/kruse_kronicle/2008/03/charting-histor.html#.VaOeOfntlHw.
ciii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 8.
civ Marx K., Grundrisse,
p. 462.
cv Marx K., Grundrisse,
p. 119.
cvi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 10.
cvii Marx K., Grundrisse,
p. 257 et 461
cviii Marx K., Contribution à
la critique de l’économie politique, 1859, http://www.karlmarx.fr/documents/marx-1859-critique-economie-politique.pdf, p. 9.
cix Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 906.
cx Le calcul pour la famille
moyenne repose sur l’hypothèse plausible que le revenu disponible des ménages
est de 70% du pib. Nous utilisons le produit mondial brut: 122 000 milliards de
dollars en 2016. Ce chiffre, exprimé en dollars PPA, tient compte des
différences de prix entre pays pour les mêmes biens ou services et exprime le
pouvoir d’achat réel. Nous avons converti ce chiffre en euros selon la méthode
de calcul de la Banque mondiale: pour la Belgique, 1 $ PPA ~ 0,808 euro.
Sources: https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.PP.KD; http://www.worldometers.info/world-population/world-population-by-year/; https://data.oecd.org/conversion/purchasing-power-parities-ppp.htm.
cxi http://www.unwater.org/statistics_san.html http://www.voanews.com/content/decapua-un-energy-28apr10-92323229/154303.html; http://www.habitatforhumanity.org.uk/statistics; http://www.fao.org/hunger/en/.
cxii Financial Times, 25 février 2013, p. 7; http://www.ft.com/intl/cms/s/0/128a852e-7b64-11e2-8eb3-00144feabdc0.html#axzz2U7FxPYH3; FAO, IFAD, UNICEF, WFP &
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2017, http://www.fao.org/3/a-I7695e.pdf, p. 2.
http://www.dewereldmorgen.be/artikel/2017/11/16/er-is-iets-grondig-mis-met-het-mondiale-voedselsysteem; Elver H., Speech by Ms Hilal Elver, United Nations Special Rapporteur on the Right to Food, http://www.fao.org/fileadmin/templates/righttofood/images/img_event/2014_VG10/FAO_SpecialRapporteurRTF_speech.pdf; Financial Times, Special Report: Managing Climate Change, 28 novembre 2011, p. 3, https://www.ft.com/content/112e448e-142e-11e1-b07b-00144feabdc0.
http://www.dewereldmorgen.be/artikel/2017/11/16/er-is-iets-grondig-mis-met-het-mondiale-voedselsysteem; Elver H., Speech by Ms Hilal Elver, United Nations Special Rapporteur on the Right to Food, http://www.fao.org/fileadmin/templates/righttofood/images/img_event/2014_VG10/FAO_SpecialRapporteurRTF_speech.pdf; Financial Times, Special Report: Managing Climate Change, 28 novembre 2011, p. 3, https://www.ft.com/content/112e448e-142e-11e1-b07b-00144feabdc0.
cxiii FAO, State of Food
Insecurity in the World 2004, Rome 2004, p. 5; http://www.hungerfreeplanet.org/news/hunger-costs-poor-countries-450-billion-a-year.
cxiv http://fortune.com/2018/01/08/pfizer-alzheimers-drug-research-end/; https://mronline.org/2018/01/16/profits-before-people-capitalists-abandon-alzheimers-and-parkinsons-research; https://www.theguardian.com/commentisfree/2013/feb/22/hiv-aids-deaths-pharmaceutical-industry; Financial Times 29 décembre 2014, p. 5; https://www.ft.com/content/f0ff8ed2-86b4-11e4-9c2d-00144feabdc0; http://tjn-usa.org/storage/documents/The_Price_of_Offshore_Revisited_-_22-07-2012.pdf; https://www.bmj.com/content/345/bmj.e4348.
cxv Marx K, Grundrisse, p. 119 en 625.
cxvi Marx K., Grundrisse,
p. 119 et 625.
cxvii Marx K., Grundrisse,
p. 226.
cxix
Calculé sur la base de Maddison A., Contours of The World Economy, I-2030AD,
Oxford 2007, p. 377 en 379.
cxxi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 312.
cxxii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 18.
cxxiii Engels F. & Marx K., La
Sainte Famille, 1845, http://www.luttedeclasse.org/marxisme/sainte_famille.pdf, p. 76.
cxxiv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 18.
cxxv Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, p. 12.
cxxvi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 99.
cxxvii Engels F., Dialectique
de la nature, 1883, https://www.marxists.org/francais/engels/works/1883/00/engels_dialectique_nature.pdf, p. 141.
cxxviii
Engels F. & Marx K, Rezension: G. Fr. Daumer, ‘Die Religion des neuen
Weltalters. Versuch einer combinatorisch-aphoristischen Grundlegung’,1850, http://hiaw.org/defcon6/works/1850/02/daumer.html.
cxxix Marx K., Manuscrits de
1844, p. 60.
cxxx Engels F., Dialectique
de la nature, p. 141.
cxxxi Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 351.
cxxxii Marx K., Le Capital.
Critique de l’économie politique. Livre II, 1885, http://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-2.pdf, p. 62.
cxxxiii Marx K., Capital.
Volume II, p. 106.
cxxxiv Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 615.
cxxxv Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 366.
cxxxvi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 617 et 616.
cxxxvii Engels F., Dialectique
de la nature, p. 141.
cxxxviii Marx K., Grundrisse,
p. 93.
cxxxix Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 199.
cxl Marx K., Grundrisse,
p. 339.
cxli Marx K., Travail
salarié et capital, 1849, http://www.karlmarx.fr/documents/marx-1849-travail-salairie-capital.pdf, p. 18.
cxlii Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 351.
cxliii Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 351.
cxliv Marx K., Manuscrits de
1844, p. 82.
cxlv Klein N., Tout peut
changer. Capitalisme et changement climatique, Arles 2015.
cxlvi http://www.economist.com/news/business/21577097-either-governments-are-not-serious-about-climate-change-or-fossil-fuel-firms-are.
cxlvii
The
Economist 14 novembre 2015, p. 55-6; http://www.economist.com/news/business/21678219-some-oil-majors-are-still-ducking-issue-global-warming-nodding-donkeys.
cxlviii
Unburnable
Carbon 2013. Wasted capital and stranded assets, http://carbontracker.live.kiln.it/Unburnable-Carbon-2-Web-Version.pdf, p. 33; Carbon reserves held by top fossil fuel
companies soar, https://www.theguardian.com/environment/2015/apr/19/carbon-reserves-held-by-top-fossil-fuel-companies-soar.
cxlix Financial times, 16/7 novembre 2013, p. 9; https://www.ft.com/content/8251fd86-4de8-11e3-8fa5-00144feabdc0.
cl Adapting
to climate change. Facing the consequences, The Economist 27 novembre 2010,
p. 79-82; https://www.economist.com/node/17572735.
cli Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 370.
Pourquoi Marx avait raison
Marc Vandepitte
Traduction :
M. Lauwers, E. Carpentier, L. Ragugini
Karl
Marx naissait il y a 200 ans. Peu de penseurs ont autant influencé l’histoire
que lui. Sa critique aiguë et radicale du capitalisme est aujourd’hui toujours
actuelle : crises économiques, exploitation, les caractéristiques de l’état, la
lutte des classes, le rôle de la classe ouvrière, la pensée écologiste, …i
1. Crise économique
La
crise financière de 2008 a eu des effets dévastateurs. La crise a creusé des
gouffres dans les finances publiques et a coûté 20 % du pib aux pays de l’euro
zone.ii
Pour sauver les banques, les autorités nationales du monde entier ont libéré
presque 9.000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 65 ans d’aide au
développement.iii
Cette
grande récession a provoqué l’effondrement de tout le système financier. Le
comble est que les économistes bourgeois ne l’ont même pas vu venir. Mais cela
n’est pas étonnant car l’économie bourgeoise n’a tout simplement pas de théorie
de la crise. Pour expliquer une crise économique, on a recours à des explications
superficielles et psychologiques comme « des comportements
irresponsables » ou « mauvaise évaluation » des acteurs
économiques, «comportement irrationnel» des investisseurs ou «mauvaise
communication» de la part des politiciens. Au mieux, on parle de « règles
du jeu imparfaites ». Il n’y a pas d’analyse profonde, structurelle.
Pour
Marx par contre, l’étude des crises est un élément essentiel de sa théorie.
Pour lui, la crise n’est pas un phénomène dû au hasard ou à la cupidité. Au
contraire, la crise fait partie de l’ADN du capitalisme. Elle fait partie
intégrante de sa propre logique. « La limitation de la production
capitaliste, c’est le capital lui-même. »ivMarx
constatait que régulièrement le moteur du capitalisme tombait en panne. A ce
moment-là une partie de l’appareil de production est détruit. Les crises
« détruisent non seulement une grande partie des marchandises
produites mais aussi les forces productives déjà développées. »v
Marx
a été le premier économiste à expliquer pourquoi le capitalisme était
régulièrement confronté à des crises. En quelques mots voici son explication.
Les salariés produisent plus que ce qu’ils peuvent acheter avec leur salaire.
Ou en d’autres termes, ils gagnent moins que la valeur qu’ils produisent par
leur travail. (voir le point deux) Comme la production est plus importante que
ce qui peut être consommé, une partie de la production ne peut être vendue.
« Finalement, toutes les crises sont causées par la pauvreté et la
limitation du pouvoir d’achat des masses face à la pression de la production
capitaliste de développer les force productives comme si les limites n’étaient
définies que par la force de consommation absolue de la société. »vi
De
cette manière il se crée régulièrement un court-circuit entre la production et
la consommation. Pendant la crise, ce court-circuit est supprimé. C’est une
cure périodique d’assainissement, une purge dont le capital a besoin pour
survivre. La crise est « une destruction violente de capital, pas à
cause de relations externes mais comme une condition de survie. »viiLa
purge est brutale. A tous les coups, c’est la population des travailleurs qui
endossera les frais de la crise. «Là où la société ne contraint pas le
capital à tenir compte de la santé et de la durée de vie des travailleurs, il
ne s’en préoccupe absolument pas. »viiiLa
crise de 2008 a précipité dans l’extrême
pauvreté 64 millions de personnes dans le monde. Pour Oxfam, il faudra de 10 à
25 ans pour que la pauvreté retrouve le niveau d’avant le crash.ix
Lors
d’une crise on parle de surproduction, mais c’est considéré du point de vue du
capital. En réalité, il s’agit de sous-consommation parce que, pour une grande
partie de la population, beaucoup de besoins vitaux essentiels ne sont pas
satisfaits malgré tout ce qui est produit. « Il n’y a pas de
surproduction de biens de nécessité vitale pour la population, au contraire
même. Il y a trop peu de production pour satisfaire dignement et humainement
les désirs des masses. »xVoyez
les longues listes d’attente pour obtenir un logement social, une place en
crèche, des soins pour les handicapés et les personnes âgées. Et nous ne
parlons même pas encore des défis énormes posés pour la production d’énergie
verte.
Quelles
sont les recettes pour s’attaquer à une crise économique ? Comment l’élite
économique surmonte-t-elle les récessions périodiques ? « D’une part
par la destruction contrainte d’une masse de forces productives. D’autre part
par la conquête de nouveaux marchés, et par l’exploitation plus profonde encore
des marchés anciens. »xi
De nouveau, la dernière crise en est une belle illustration. Après 2008, les
multinationales perdaient de par le monde 2.000 milliards de dollars de
capacité de production et, au total, au moins 20 millions de jobs étaient
détruits.xii
Après 2008, et dans tous les pays capitalistes, les salaires étaient sérieusement
rabotés. « Les crises offrent aussi des possibilités intéressantes.
Nous pouvons obtenir des choses qui seraient impossibles sans elles. » disait
Wolfgang Schäube, le ministre allemand des finances à l’apogée de la crise en
Europe.xiii
Une
autre tentative de sortir des crises récurrentes est le « doping
financier » du système. Quand les attentes de profit dans la sphère de
production sont faibles, le capitaliste a recours au secteur financier. « La
spéculation se produit régulièrement dans des périodes où la surproduction est
déclenchée pleinement. Elle prévoit des possibilités d’écoulement pour la
surproduction. »xivAprès
la crise de ‘73 nous sommes le témoin d’une véritable explosion financière. En
1980 les actifs financiers sont bons pour 120% du pib dans le monde entier. En
2014 c’est 370%, soit trois fois plus.xv
Le marché dérivé représente aujourd’hui plus de 630.000 milliards de dollars,xvi
cela revient à presque 90.000 dollars par personne sur la planète. Peu avant la
crise de 2008 plus de 40% des bénéfices des grandes entreprises provenaient de
la spéculation.xvii
Au
sein de l’élite économique se niche une couche supérieure financière qui
parasite le reste de l’économie. « Cela reproduit une nouvelle
aristocratie financière, une nouvelle variété de parasites sous la forme de
promoteurs, de spéculateurs et de CEO. C’est tout un système d’escroquerie et
de tromperie au moyen de promotions, d’émission d’actions et de spéculation
boursière. »xviii
Les
tentatives de sortie de crise permettent un soulagement temporaire mais ne
résolvent fondamentalement pas le problème, au contraire. Les contradictions à
l’intérieur du capitalisme « sont en permanence surmontées mais aussi
constamment ressuscitées ».xix
« La production capitaliste tente sans arrêt de surmonter ses propres
limites internes, mais elle les surmonte uniquement grâce à des moyens qui
placent les limitations à une échelle encore plus grande. »xx
On profite des crises pour baisser les salaires pour que les bénéfices puissent
encore augmenter. Mais ceci est précisément la recette pour un futur
court-circuit entre production et consommation.
Le
dopage financier ne fait qu’aggraver le mal. « Cela ouvre
provisoirement de nouvelles possibilités d’écoulement pour la surproduction,
alors que c’est justement pour cette raison que l’arrivée de la crise est
accélérée et que sa force en est amplifiée. »xxi
La taille et la puissance des groupes financiers, et l’impact qu’ils ont sur la
sphère de production, sont devenus tels qu’ils sont capables aujourd’hui de
déstabiliser l’économie mondiale. C’est ce qui est arrivé en 1929, avec le
crash de Wallstreet et en 2008 avec la crise financière. Depuis la financiarisation
de l’économie en 1973 le lien avec l’économie réelle s’est perdu. Une
gigantesque bulle financière est apparue qui peut éclater tôt ou tard, et qui
éclate d’ailleurs régulièrement. Depuis les années 80, tous les deux ou trois
ans, il y a une crise boursière, une crise banquière, un crash financier ou une
crise d’endettement. Ces crises financières n’existent pas par elles-mêmes,
elles sont la conséquence de la surproduction. « La crise elle-même
éclate d’abord dans le domaine de la spéculation, ce n’est que plus tard
qu’elle touche la production. Ce qui, pour l’observateur superficiel est la
cause de la crise, n’est pas la surproduction mais l’excès de spéculation. Mais
la spéculation elle-même n’est qu’un symptôme de la surproduction. » xxii
Sur
quoi cela débouche-t-il ? « A la préparation de crises encore plus
importantes et violentes. »xxiii
Les crises des dernières décennies deviennent effectivement toujours plus
profondes et elles ne sont pas nécessairement suivies de rétablissement ou de périodes
de haute conjoncture. S’il y a quand même une période de haute conjoncture,
elle est souvent de courte durée et elle est surtout causée par du
« dopage financier » : des dettes ou de la spéculation. Désormais les
crises ne sont plus des événements isolés qui reviennent à quelques années
d’intervalle, elles ont un caractère quasi permanent.
2. L’exploitation du travail
Des
fortunes fabuleuses d’un côté, de la misère sourde de l’autre. D’où cela
vient-il, et ces deux phénomènes sont-ils liés ? Pendant une grande partie de
sa vie, Marx a cherché une réponse à ces questions. Il était à la recherche du
« fondement caché de la construction socio-économique »xxiv
responsable aussi bien de gigantesques richesses que du fossé entre riches et
pauvres. « Ce n’est qu’en connaissant les lois économiques qu’on peut
comprendre le lien intime entre la faim de la plus grande partie de la
population travailleuse et la consommation brute ou raffinée, démesurée, des
riches basée sur l’accumulation capitaliste. »xxv
Après
de longues études il a développé la théorie de la plus-value et de
l’exploitation. « Le mobile et le but dominant du processus de
production capitaliste est avant tout une auto-expansion du capital la plus
grande possible, ce qui signifie l’exploitation la plus grande possible de la
force du travail par le capitaliste. »xxvi
Le
clou de l’affaire est que chaque travailleur produit plus de valeur que le
salaire qu’il reçoit en échange. C’est aussi la condition pour que le
capitaliste soit disposé à engager des gens. Supposons, par exemple, qu’un
travailleur produise une valeur de 25€ (des biens ou des services). Son salaire
sera de 15€.xxvii
La différence, 10€, est ce que Marx appelle la plus-value. Cet argent va dans
la poche du propriétaire de l’entreprise (le patron ou les actionnaires). Marx
appelle le fait de s’attribuer cette plus-value par le capitaliste, exploitation.
Notre
exemple est fictif mais il est proche de la réalité. Dans les 500 plus grandes
entreprises de par le monde la plus-value moyenne par travailleur est d’environ
11€ de l’heure.xxviii
La
création de plus-value explique pourquoi il y a de la richesse gigantesque au
sein du capitalisme. Supposons que dans l’entreprise de notre exemple il y ait
100 travailleurs. Le patron empoche alors 1000€ par heure, ou 70 fois plus que
son travailleur. La propriété des moyens de production amène donc une
concentration démesurée de richesse dans les mains de quelques-uns. Dans notre
exemple, un travailleur avec un salaire de 2.500€ devrait travailler 160.000
ans pour avoir la fortune d’Albert Frère.xxix
Aujourd’hui dans le monde, 8 personnes possèdent autant que 3,6 milliards
d’autres. En quelques mots : « ceux qui travaillent dans la société
bourgeoise ne ‘gagnent’ pas et ceux qui y ‘gagnent’ ne travaillent pas. »xxx
Ce
n’est pas pour rien que l’ouvrage principal de Marx Le Capital commence
par la phrase suivante : « La richesse des sociétés où règne le mode de
production capitaliste est une accumulation colossale de biens. »xxxiAujourd’hui
cela n’est pas différent. Jamais notre pays n’a produit autant de richesse
qu’aujourd’hui. Le revenu moyen disponible d’un ménage belge avec deux enfants
est de 8.650€ net par mois.xxxii
Avec
une telle richesse, il est évident que nous pourrions tous vivre sans soucis,
dans l’opulence. Et, malgré cela, il existe beaucoup de misère. 20% de nos
ménages risquent de tomber dans la pauvreté, un quart des ménages a du mal à
payer toutes ses dépenses médicales, 40% ne peuvent rien épargner et 70% des
chômeurs ont du mal à boucler le mois.xxxiii
« Il
n’y a pas d’argent, nous ne pouvons pas faire autre chose que
d’épargner. » claironne la droite en chœur. Pas d’argent, comment ? Rien
que ces trois dernières années, les entreprises belges ont éclusé 300 milliards
d’euros vers les paradis fiscaux.xxxiv
C’est une accumulation colossale d’argent avec lequel elles ne savent tout
simplement pas quoi faire. Avec 1 milliard d’euros il est possible de mettre au
travail 30.000 personnes pendant un an.xxxv
Pour Marx, le problème n’est pas qu’il y a trop peu de richesse mais qu’elle
est scandaleusement mal distribuée et que cela fait partie intégrante du
capitalisme. « Le capital est la puissance économique dominante de la
société bourgeoise. Il est nécessairement le point de départ et d’arrivée de la
recherche.”xxxvi
Depuis
l’origine du capitalisme, la lutte pour la plus-value constitue le cœur de la
lutte sociale. Parce que la plus-value est la seule source de bénéfices, elle
est donc aussi le but ultime de tout capitaliste. Cependant, plus les salaires
sont hauts, plus les bénéfices sont bas et vice versa. Le capitaliste fait tout
pour faire travailler les salariés plus longtemps, plus durement et meilleur
marché. De leur côté, les salariés s’efforcent d’obtenir une journée de travail
plus courte, un salaire plus élevé et plus juste et un rythme de travail plus
humain. Les intérêts sont incompatibles : un gain pour l’un est une perte pour
l’autre. Marx décrit le capital comme « un vampire qui ne peut
retrouver une nouvelle vie qu’en aspirant du travail vivant et qui vit d’autant
plus longtemps qu’il en aspire de plus en plus. »xxxvii
Pour
survivre, un travailleur doit nécessairement offrir sa force de travail sur le
marché de l’emploi. Là où règne la loi de l’offre et de la demande. « Les
travailleurs qui sont obligés de se vendre chaque jour sont une marchandise, un
article commercial comme n’importe quel autre. Ils sont donc exposés à toutes
les variations de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. »xxxviii
Plus
il y a de travailleurs qui se présentent pour un même job, plus il y a de
concurrence entre eux, plus ils seront enclins d’accepter de travailler pour un
salaire moindre et dans des plus mauvaises conditions. Pour cette raison
l’élite économique fait toujours en sorte qu’il y ait trop de travailleurs ou,
selon les termes de Marx, une armée de réserve industrielle. « La
quantité de force de travail disponible livrée par l’accroissement naturel de
la population n’est absolument pas suffisante pour la production capitaliste.
Pour évoluer librement ,elle a besoin d’une armée de réserve industrielle,
indépendante de ses frontières naturelles. »xxxix
Pour
garder à niveau cette armée de réserve après la deuxième guerre mondiale, des
travailleurs immigrés ont été attirés en Europe et on a incité les femmes à
travailler. Aujourd’hui, cette armée de réserve dans les pays riches constitue
26% de la population active (voir le graphique). Dans le monde c’est même 58%.xl
Depuis ces dernières années, on préserve le niveau de cette armée de réserve en
faisant travailler les gens plus longtemps – âge de la pension plus élevé et
suppression des prépensions – en obligeant les chômeurs à accepter un travail,
en traquant les malades de longue durée pour qu’ils reprennent le travail le
plus vite possible et en mettant plus d’étudiants au travail. « L’accumulation
de richesse d’un côté entraîne donc accumulation de misère, harcèlement du
travail….. de l’autre côté. »xli
Quand
il s’agit de profits, le capital ne ménage absolument pas la santé ou le
bien-être du travailleur. La formulation de Marx : dans sa « faim
insatiable de plus-value » le capital commet « des
extravagances démesurées ».xlii
Le
rapport entre salaires et profits, ou le degré d’exploitation, est défini par
les rapports de force entre le travail et le capital. Plus la population des
travailleurs s’organise et se défend, meilleures sont les conditions salariales
et les conditions de travail (voir point 5). Un outil important dans ce rapport
de force est la grève. A ce moment-là la source de la plus-value et donc
l’enrichissement du capitaliste est tarie et le capitalisme est touché au cœur.
De là, selon Marx, « la rage furieuse » de l’élite économique
« contre la grève ».xliii
3.Lutte des classes
Micheline
est ouvrière dans une grande entreprise textile. Son patron est Mr Richard. Il
a 600 salariés à son service. A première vue, Micheline et Mr Richard son des
citoyens égaux, ayant les mêmes droits. Tous les deux sont libres de se rendre
où ils veulent, de faire ce qu’ils ont envie de faire. Quand ils entrent dans
un magasin, ils paient le même prix. Aux élections, ils ont chacun une voix et
ils sont en principe égaux devant la loi.
Mais
dès qu’elle passe la porte de l’entreprise, tout change comme par enchantement.
Micheline n’a plus rien à dire et il n’est plus question de droits égaux. Pour
pouvoir disposer d’un revenu, elle est obligée de vendre sa force de travail.
Avoir le droit de travailler, combien d’heures par semaine, l’organisation de
son travail, tout cela est déterminé entièrement par son patron. Mr Richard, de
son côté, décide lui-même de ses propres investissements, de ses gains, ainsi
que de tout ce qui concerne Micheline. Si cela lui chante, il investira son
argent dans une autre entreprise qui jettera Micheline à la rue.
« Qu’est-ce
que la richesse sinon le déploiement absolu de talents créatifs? » écrit
Marx.xliv
Micheline est une femme sociable, créative et entreprenante. Mais au sein de
l’entreprise elle ne peut pas déployer ses talents, au contraire, elle doit les
réprimer pour pouvoir continuer à y travailler. La seule chose qu’on attend
d’elle est une prestation pour réaliser les attentes de bénéfices de son
patron. Elle est réduite à un facteur de production, sa dignité humaine ou ses
besoins ne sont nullement pris en compte. « Le travail comme pure
satisfaction des besoins directs n’a rien à voir avec le capital, car ce n’est
pas la moindre préoccupation du capital. »xlv
Micheline
travaille à un rythme effréné, ses pauses-café sont chronométrées. Quand même,
elle gagne vingt fois moins que son patron, qui organise entièrement seul son
rythme de travail et ses vacances. Elle vivra en bonne santé 18 années de moins
que la femme de Mr Richard.xlvi
« La production produit l’homme non seulement comme une marchandise, …
elle le produit comme un être déshumanisé aussi bien physiquement que
mentalement. »xlvii
Micheline
et Mr Richard personnifient la situation socio-économique très inégale de la
société capitaliste. Prenez la situation en Belgique. Au bas de la pyramide il
y a un tiers de la population qui ne peut pas épargner et qui a très peu de
possessions. En haut, il y a 5% de super-riches. Ils possèdent autant que les
75% des plus pauvres. Quelques centaines de familles contrôlent la plus grande
partie de l’économie belge.xlviii
Marx a eu le mérite d’analyser avec précision cette contradiction flagrante,
mais aussi de la situer dans une perspective historique et de voir comment cela
peut être surmonté. Dans l’enchevêtrement de contradictions et de conflits sans
fin il a découvert un patron fondamental qui survient régulièrement sous
différents aspects. Selon lui, la contradiction entre travailleurs et patrons
dans le capitalisme n’est pas un phénomène nouveau. Une semblable contradiction
était déjà survenue sous différentes formes à plusieurs reprises dans
l’histoire.
« L’histoire
de toutes les sociétés jusqu’à aujourd’hui est l’histoire de la lutte des
classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître
de guilde et compagnon, bref oppresseurs et opprimés ont été continuellement
opposés les uns aux autres, ils ont mené une lutte ininterrompue, parfois de
façon masquée, parfois ouvertement , une lutte qui se terminait chaque fois par
un changement révolutionnaire de toute la société ou par un déclin des classes
en lutte. … La société bourgeoise moderne issue du déclin de la société féodale
n’a pas supprimé les contradictions de classes. Elle n’a fait que créer de
nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de
lutte à la place des anciennes. Notre époque, l’époque bourgeoise se
caractérise cependant par le fait d’avoir simplifié les contradictions de
classes. Toute la société se scinde de plus en plus en deux camps ennemis, en
deux classes diamétralement opposées, la bourgeoisie et la classe
ouvrière. »xlix
Cette
lutte des classes est essentiellement une lutte autour du surplus économique.
Pendant des centaines de milliers d’années, l’humanité a vécu en mode de
survie. Il n’y avait pas d’excédents et tout était partagé équitablement.
C’était la période des chasseurs cueilleurs et de l’agriculture débutante. A
partir de 3.000 ans avant J.C. cette situation change. Les techniques
d’agriculture s’améliorent et on produit plus que nécessaire pour survivre. La
production excédentaire permet la création de catégories de population qui ne
produisent pas : des dirigeants, des prêtres, des clercs, des juges, des
soldats… Dans ces rangs se forme une couche qui attire le pouvoir, qui a en
main les moyens de production les plus importants, et qui va s’approprier la
plus-value.
Ainsi
naît la scission de la société en une petite classe supérieure qui s’enrichit
au détriment des classes inférieures. Ce schéma est récurrent dans l’histoire.
Dans l’Antiquité les maîtres s’enrichissent grâce aux esclaves. Au Moyen Age la
noblesse le fait grâce aux serfs. Dans le capitalisme ce sont les capitalistes
qui s’enrichissent au détriment de la classe ouvrière.
Cet
enrichissement, ou exploitation, n’est évidemment pas basé sur le consentement
spontané des classes inférieures, il doit être forcé, cela suppose une lutte.
De là la formulation de Marx qui parle de lutte des classes.
Parce
que cette lutte concerne essentiellement la surproduction, le travail est
organisé de telle manière pour que la classe dominante puisse écrémer le
surplus économique. « La forme économique spécifique où le temps de
travail non-payé est pompé directement des producteurs, détermine les rapports
entre régnants et dominés. Ceci est le fondement de la société et, en même
temps, sa forme politique spécifique. C’est toujours la relation directe entre
les possesseurs des moyens de production et les producteurs directs … qui
dévoile le secret le plus profond, le fondement caché de tout l’édifice
socio-économique et donc aussi … la forme spécifique de l’état. »l
Dans
l’appropriation de la surproduction, la possession des moyens de production est
essentielle et c’est pour cette raison que Marx n’en veut pas. « Nous
voyons comment la propriété privée peut achever maintenant sa domination sur
l’homme et peut devenir une puissance de l’histoire mondiale, sous la forme la
plus générale. »liPour
Marx, les classes ont à voir avec la sphère de production. Il s’agit de groupes
de personnes dont l’un peut s’approprier le travail d’un autre comme
conséquence du fait qu’il possède des moyens de production.
Pour
Marx et Engels, la lutte des classes n’est pas un détail de l’histoire
mondiale, c’est « la force motrice de l’histoire ».liiC’est
la dynamique fondamentale qui fait avancer l’histoire. Pour Marx c’est un
développement « dialectique » c.à.d. une dynamique basée sur des
contradictions internes. « Parce que le fondement de la civilisation se
base sur l’exploitation de l’un par l’autre, tout son développement évolue dans
une contradiction continuelle. Tout progrès de la production est en même temps
un recul des conditions de vie de la classe opprimée, c.à.d. de la grande
majorité. »liiiCette
loi « a la même signification pour l’histoire que la loi de la
conservation de l’énergie pour la physique. »liv
Dans
la vision de société de Marx et Engels, les intérêts contradictoires prennent
une place centrale. Cela nuance leur opinion sur la politique. « Le
pouvoir politique au sens propre est le pouvoir organisé d’une classe pour
opprimer une autre. »lvPour
Marx, le conflit est central. La politique ne se fait pas pour chercher des
solutions aux problèmes, mais pour s’occuper de situations de domination et
d’oppression. Il ne peut être mis fin à cela qu’en s’attaquant aux causes. Pour
Marx, la politique est en premier lieu une confrontation entre des groupes
d’intérêt qu’il dénomme classes. « La société n’est pas constituée
d’individus mais elle est la somme des relations entre personnes, ou la façon
dont les personnes sont situées les unes par rapport aux autres. Comme si
quelqu’un disait : du point de vue de la société, il n’y a pas d’esclaves ni
d’hommes libres, ce sont tous des êtres humains. »lvi
Micheline et Mr Richard seraient tous deux des êtres humains, ni plus ni moins
…
Un
véritable changement de société ne peut advenir que si on s’attaque aux
contradictions fondamentales, et cela se situe au niveau de l’économie.
« Sur cette base, les causes ultimes de tous les changements de société et
des bouleversements politiques ne doivent pas être cherchées dans la tête des
gens, dans leur compréhension plus profonde de vérité et de justice éternelles
mais dans les modes de production et d’échange ; elles doivent être
cherchées non pas dans la philosophie mais dans l’économie de la période
concernée. »lvii
Ce
n’est pas que Marx et Engels n’avaient pas d’intérêt pour la lutte des idées. A
cela, ils ont eux-mêmes dédié presque toute leur vie. Mais c’est une illusion
de penser qu’il est possible de modifier les fondements d’une société seulement
par la persuasion, en faisant changer les gens d’opinion. La force seule de
l’argumentation n’y arrivera pas, car les idées n’existent pas par elles-mêmes.
« La production des idées… est en première instance directement enlacée
dans l’activité matérielle de l’homme. »lviii
Et cette activité matérielle n’est pas neutre mais est caractérisée par les
rapports de force qui déterminent à leur tour les idées. « Les idées de
la classe dominante, dans toutes les périodes, sont les idées
dominantes. »lix
Si on veut vaincre les idées dominantes , il faut détrôner la classe dominante,
et pour cela modifier les rapports de force. Pour cela, la classe ouvrière est
essentielle.
4. Le rôle de la classe ouvrière
Marx
était un penseur stratégique. Il ne voulait rien savoir d’idéaux romantiques,
éloignés de la réalité. Par contre, il était à la recherche de leviers et de
forces dans la réalité qui pourraient mener vers un monde meilleur. « Ils
ne doivent pas réaliser des idéaux, mais faire émerger des éléments d’une
nouvelle société que l’ancienne société bourgeoise qui s’effondre porte en
elle. »lxPlus
précisément, il faut pouvoir faire usage « des fractures internes de la
bourgeoisie. »lxi
La
force sociale à l’intérieur du capitalisme capable de réaliser cela est la
classe ouvrière. L’essence du capitalisme est, entre autres, l’accumulation de
capital basée sur la plus-value et le travail salarié. Finalement, cela rend le
capitaliste dépendant du travailleur. « La condition essentielle pour
que la bourgeoisie existe et domine est l’accumulation de capital dans les
mains de particuliers, la formation et l’augmentation du capital. La condition
du capital c’est le travail salarié. » lxiiLes
ouvriers peuvent paralyser la production et toucher au cœur le capitalisme.
Parce
que l’organisation de la production se fait de plus en plus dans de grandes
unités, le capitalisme réunit de fait la population des travailleurs. « Le
capital est ce qui les relie. »lxiii
« Les progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie est le
représentant apathique et sans défense, remplace l’isolement des travailleurs,
résultat de la concurrence, par leur organisation révolutionnaire dans des associations
(syndicats). … Les travailleurs constituent des coalitions (syndicats) contre
la bourgeoisie. Ils se réunissent pour défendre leur salaire. Ils créent
eux-mêmes des associations durables pour constituer des provisions en cas de
résistance. »lxiv
Ce
rassemblement augmente aussi la conscience politique des travailleurs.
« Avec le développement de l’industrie, le prolétariat augmente non
seulement en nombre, il est aussi rassemblé dans de plus grandes masses, sa
force grandit et il en est de plus en plus conscient. »lxv
C’est
la ruse de l’histoire. Sans le savoir, le capitalisme produit « son propre
fossoyeur ».lxvi
Dans
la lutte pour une société plus juste, les travailleurs devront surtout compter
sur eux-mêmes et pas sur la bourgeoisie ou la petite-bourgeoisie.lxvii
« L’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre de la classe
ouvrière elle-même. Pour cette raison, nous ne pouvons pas prendre la mer avec
des gens qui disent ouvertement que les travailleurs ne sont pas formés pour se
délivrer eux-mêmes et doivent être libérés par la grande et la petite
bourgeoisie philanthropique. »lxviiiContrairement
aux autres classes, les travailleurs « n’ont rien à perdre que leurs
chaînes. Ils ont un monde à gagner. »lxix
Ce seront les travailleurs « qui par leur courage, leur fermeté et leur
sens du sacrifice porteront la plus grande responsabilité pour la victoire.
Tout comme dans le passé, la petite-bourgeoisie va hésiter le plus longtemps
possible, va rester indécise et inactive. Mais, quand la victoire sera
certaine, elle la revendiquera pour elle-même et appellera les travailleurs à
rester réservés, à retourner au travail et à se comporter dignement et elle
exclura le prolétariat des fruits de sa victoire. »lxx
Les
ouvriers représentent aussi la plus grande majorité de la population. « Tous
les mouvements étaient jusqu’à ce moment-là des mouvements de minorités ou au
profit de minorités. Le mouvement ouvrier est le mouvement indépendant de la
majorité écrasante dans l’intérêt de la majorité écrasante. Le prolétariat, la
couche la plus basse de la société actuelle, ne peut pas se redresser sans que
cela fasse sauter toute la superstructure des couches qui forment la société
officielle. »lxxi
Pour
Marx et Engels il n’y a pas de doute possible : « De toutes les classes
face à la bourgeoisie, seule la classe ouvrière est réellement
révolutionnaire ».lxxii
Les
idées de Marx et Engels sont-elles encore valables aujourd’hui ?
La
situation de la classe ouvrière, comparée à celle de la deuxième moitié du
dix-neuvième siècle, a sans aucun doute changé profondément. Le nombre
d’agriculteurs et d’ouvriers d’industrie a baissé fortement tandis que le
secteur des services a fait un grand bond en avant. Mais, fondamentalement, la
nature du capitalisme n’a pas changé. Bien au contraire, ces modifications
n’ont fait que renforcer et consolider les relations capitalistes.
Le
capital est toujours dans les mains de très peu de gens. Plus encore, la
concentration de capital, comparée à celle du 19me siècle, a augmenté
terriblement. Aujourd’hui, 147 super-entreprises contrôlent 40% de l’économie
mondiale. 737 de ces « systems integrators » en contrôlent même 80%.
Les 110 plus grandes entreprises ont un chiffre d’affaires plus grand que le
pib de plus de 120 états nationaux.lxxiii
Exactement comme l’avait prévu Marx, le nombre de salariés a systématiquement
augmenté. Il n’y a jamais eu autant de salariés qu’aujourd’hui. Depuis 1990, il
y a 1,2 milliards de travailleurs en plus dans le monde.lxxiv
Les discussions à la mode sur « la fin de la classe ouvrière », le
postcapitalisme ou le postmodernisme, ont pour but de miner la combativité du
mouvement ouvrier. De toute façon, cela ne résiste pas à l’épreuve de la
réalité.
Le
plus grand nombre de travailleurs dans le monde n’a rien à perdre que ses
chaînes. Plus de 700 millions de travailleurs travaillent pour des salaires
ridicules, ce sont les « working poor ». A côté de cela, 1,4 milliard
de travailleurs ont de très mauvaises conditions de travail, surtout du travail
informel. 190 millions de personnes sont structurellement au chômage. En tout,
cela représente plus de 70% de l’ensemble de la population active.lxxv
Et la tendance actuelle ne va pas dans le bon sens. Depuis la crise bancaire de
2008, le nombre de revenus moyens a diminué dans beaucoup de pays.lxxvi
Les nouveaux jobs sont de plus en plus temporaires ou à temps partiel.
Aujourd’hui, une grande partie des revenus moyens est exposée à l’incertitude
qui caractérisait le travail au 19me siècle. En augmentant les cadences et la
flexibilité, les conditions de travail deviennent de plus en plus mauvaises
pour la plupart des travailleurs.
La
classe ouvrière ne doit toujours compter que sur elle-même et elle ne doit pas
espérer trop des forces (petites-)bourgeoises ou des partis. C’est une coalition des Verts et des
socio-démocrates qui avait lancé une attaque contre les salaires et les
contrats de travail et a ainsi entraîné l’Europe entière dans une spirale
descendante de destruction sociale.lxxvii
Ce sont les populistes d’(extrême) droite ou nationalistes à la Trump, Le Pen,
De Wever et Cie qui représentent soi-disant l’homme ordinaire, mais qui en fait
sont les coursiers des grands groupes du capital.
5.
L’importance de l’organisation et de l’unité
Pour
Marx, la classe ouvrière est la véritable classe révolutionnaire, constituant
le lien entre la vieille et la nouvelle société. Cependant, cette
transformation vers une nouvelle société ne se produira pas spontanément. Elle
ne se produira pas non plus par un grand changement de mentalités ou en
adoptant un autre style de vie personnel. Les ouvriers se voient confronter à
un ennemi fort, et ils devront tout faire pour construire des rapports de
forces. Ils devront donc s’organiser. « Il va absolument de soi que, ne
fût-ce que pour être en mesure de lutter, la classe ouvrière doit s’organiser
en tant que classe. »lxxviii
L’histoire
a démontré que l’organisation de la classe ouvrière était décisive pour les
acquis sociaux. Dans la plupart des cas, ces acquis ont été arrachés aux
parlements. Sans les grèves nationales, il n’y aurait pas de suffrage
universel, et le travail des enfants serait toujours d’actualité. Le congé
payé, le salaire minimum, les pensions, les allocations de chômage, les
allocations familiales, etc. sont tous dus à la dure lutte sociale des
générations antérieures.
Jusqu’aux
années cinquante, ces grèves avaient un caractère offensif. Après, elles ont eu
un caractère plus défensif : lutter pour préserver autant que possible
l’Etat-providence. Dans la lutte sociale, le taux d’organisation est
déterminant. Plus forts sont les syndicats, plus ils garantissent l’édification
et la préservation de l’Etat-providence social. Les pays qui ont le plus haut
taux de syndicalisation disposent des meilleurs systèmes de sécurité sociale et
connaissent une pauvreté moindre. Inversement, les pays qui ont un faible taux
de syndicalisation sont confrontés à plus de pauvreté et plus de problèmes au
niveau de la criminalité, la santé, etc.lxxix
Pour
Marx, organiser la classe ouvrière impliquait au moins trois choses.
D’abord,
il faut avoir une vision et une stratégie à long terme. Certes, les ouvriers
doivent se battre pour avoir de meilleures conditions de travail, mais toujours
en ayant bien en vue le but final. « De temps à autre, les ouvriers
triomphent ; mais c’est un triomphe passager. Le véritable résultat de leurs
luttes est moins le succès immédiat que l’union de plus en plus large des
travailleurs. » lxxx
Les travailleurs doivent prendre conscience du fait que « ‘l’émancipation
économique de la classe ouvrière est le but que tout mouvement politique doit
poursuivre ».lxxxi
En
deuxième lieu, l’unité est une condition décisive du succès. Confronté à une
série de défaites, Marx constatait « que tous les efforts tendant vers ce
but ont jusqu’ici échoué, faute de solidarité entre les travailleurs des
différentes professions dans un même pays et d’une union fraternelle entre les
classes ouvrières des divers pays ».lxxxii
L’élite aime à promouvoir cette division. Elle a tout intérêt à diviser la
population travailleuse en interne et à monter les uns contre les autres. Le
nationalisme et le racisme sont des outils pratiques pour aboutir à cette fin.
Ils détournent l’attention des contradictions de classe et dissimulent l’élite.
Ils amènent les ouvriers à se battre avec ceux d’en bas au lieu de ceux d’en
haut. Ils font oublier la fracture scandaleuse entre les riches et les pauvres
et le fait que la population travailleuse en fait les frais. Le nationalisme et
le racisme constituent le tendon d’Achille du mouvement ouvrier.
Marx
en parlait à l’occasion des tensions entre les ouvriers anglais et irlandais en
Angleterre. Au 19e siècle, la Grande-Bretagne comptait beaucoup de
travailleurs étrangers venus d’Irlande. Les Irlandais parlaient la même langue
que les Britanniques, mais ils étaient beaucoup plus pauvres et pratiquaient
une autre religion. L’élite britannique attisait sciemment les tensions afin de
renforcer sa propre position et affaiblir le mouvement ouvrier. « Tous
les centres industriels et commerciaux d’Angleterre ont maintenant une classe
ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires anglais et prolétaires
irlandais. L’ouvrier anglais ordinaire déteste l’ouvrier irlandais en tant que
concurrent qui abaisse son niveau de vie. … Des préjugés religieux, sociaux et
nationaux le dressent contre l’ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à
peu près comme les Blancs pauvres vis à vis des Noirs dans les anciens Etats
esclavagistes des États-Unis. … L’Irlandais voit en lui à la fois le complice
et l’instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme
est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues
humoristiques, bref par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir.
Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise,
en dépit de son organisation. C’est aussi le secret de la puissance persistante
de la classe capitaliste qui s’en rend parfaitement compte. »lxxxiii
Aux
États-Unis, la division au sein de la classe ouvrière n’était pas tellement
basée sur la religion ou la nationalité mais notamment sur la couleur. Au 19e
siècle avancé, une grande partie de la population noire vivait en esclavage. Le
racisme et la discrimination y pullulaient. Selon Marx, la classe ouvrière
blanche devait s’occuper du sort de ses frères et sœurs noirs. L’émancipation
de la classe ouvrière était l’affaire de tous les ouvriers. Tant qu’une
partie était opprimée, aucun soulagement pour le reste n’était possible. « Aux
États-Unis d’Amérique du Nord, tout mouvement ouvrier autonome a été paralysé
tant que l’esclavage défigurait une partie de la république. Le travail des
blancs ne peut pas s’émanciper là où le travail des noirs demeure marqué
d’infamie. » lxxxiv
Ce
sont des paroles d’une actualité brûlante. Les politiques de droite et
d’extrême-droite s’amusent à opposer les divers groupes de la population l’un
contre l’autre. Le mouvement ouvrier ne peut pas se faire piéger. Etant divisée,
la classe ouvrière ne pourra pas affronter l’élite. En revanche, une attitude
de solidarité peut justement lui donner des ailes. C’était en tout cas la leçon
des Etats-Unis. « Mais la mort de l’esclavage a aussitôt fait éclore une vie
nouvelle et régénérée. Le premier fruit de la guerre civile a été la lutte pour
la journée de travail de 8 heures. »lxxxv
Outre
l’unité et une vision à long terme, le mouvement ouvrier a aussi besoin d’un
relais politique. « Contre ce pouvoir collectif des classes possédantes
le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti
politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes
possédantes. »lxxxvi
Au milieu du 19e siècle, le mouvement ouvrier se trouvait encore dans un stade
embryonnaire. Les ouvriers étaient encore principalement organisés au niveau
local et sectoriel ; ils ne disposaient pas encore d’un propre parti
ouvrier. S’ils voulaient devenir un facteur significatif et savoir résister à
leur puissant ennemi, ils devaient créer un parti révolutionnaire. Marx et Engels
arrivent à cette conclusion après les révoltes révolutionnaires échouées de
1848 dans une série de villes européennes. « Ce n’est point par ses
conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s’est frayé la
voie ; au contraire, c’est seulement en faisant surgir une contre-révolution
compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le
parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment
révolutionnaire. »lxxxvii
Les syndicats sont nécessaires pour les luttes directes, comme les
revendications salariales et les conditions de travail. Mais, pour arriver au
but final, une société juste où l’exploitation n’existe plus, il faut un parti
politique. « La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les
luttes économiques doit aussi servir de levier pour sa lutte contre le pouvoir
politique de ses exploiteurs. »lxxxviii
6. L’État du 1 %
Dans
les points 2 et 3, nous avons vu que la population travailleuse se trouve dans
une position faible et soumise par rapport aux capitalistes. Elle a cependant
un grand avantage : elle représente l’écrasante majorité de la population. Et
puisque la production s’organise de plus en plus dans des grandes unités, le
capitalisme a, pour ainsi dire, ‘réuni’ les ouvriers et les employés, ce qui
constitue une menace potentielle pour les rapports d’exploitation.
C’est
à ce point que la classe dirigeante fait appel à l’Etat pour protéger son
pouvoir et ses privilèges. Nul autre qu’Adam Smith, le fondateur du libéralisme
classique, ne l’a dit avec moins d’équivoque. « Le gouvernement civil,
institué pour défendre la propriété, est en réalité institué pour défendre les
riches contre les pauvres, ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent
rien. »lxxxix
L’appareil
de l’État fut un des sujets centraux chez Marx et Engels : « Au fur et
à mesure que le progrès de l’industrie moderne développait, élargissait,
intensifiait l’antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir
d’État prenait de plus en plus le caractère d’un pouvoir public organisé aux
fins d’asservissement social, d’un appareil de domination d’une classe. »xcIls
concluent : « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère
les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière ».xci
L’État
doit permettre aux capitalistes d’encaisser un maximum de profit. Cela signifie
protéger la propriété privée des moyens de production et créer les conditions
favorables à l’usurpation de la plus-value. Ce dernier est réalisé par L’État,
entre autres, en délimitant les marges des négociations salariales, en limitant
la position de pouvoir des syndicats, en fixant la marge de manœuvre légale en
cas de conflits sociaux (grèves, occupations des lieux de travail) etc.
En
clair, la classe capitaliste règne, mais elle ne gouverne pas. En règle
générale, la classe dominante laisse la gestion à une caste politique censée
servir ses intérêts à long terme. Dans une lettre à Karl Marx, Engels
parle d’une « oligarchie capable de s’occuper de la gestion de l’Etat
et de la société défendant les intérêts de la bourgeoisie en échange d’une
indemnisation convenable ».xciiL’élite
économique ne gouverne pas de façon directe mais cherche du personnel politique
pour le faire. « La richesse y exerce son pouvoir d’une façon
indirecte, mais d’autant plus sûre. D’une part, sous forme de corruption
directe des fonctionnaires, … d’autre part, sous forme d’alliance entre le
gouvernement et la Bourse. »xciii
L’État
est une sorte de cloche politique qui sert à neutraliser et à couvrir les
contradictions économiques. La cohésion, impossible dans la sphère économique à
cause de la contradiction entre le travail et le capital, se créé dans la
sphère politique. « Mais pour que les antagonistes, les classes aux
intérêts économiques opposés, ne se détruisent pas, elles-mêmes et la société,
en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence
au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les
limites de l’« ordre ». Ce pouvoir, issu de la société, mais qui se place
au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État. »xciv
Le
fait que la classe dominante sous-traite cette mission à des ‘tiers’, qui en
outre sont élus, permet de sauver les apparences de la neutralité et de
l’impartialité. On fait semblant que l’État est au-dessus des classes et qu’il
représente ‘l’intérêt général’ : « Ne fût-ce que pour parvenir à ses
fins, la classe dominante est obligée de présenter son intérêt comme étant
l’intérêt commun de tous les membres de la société. »xcv
Le
mythe de la neutralité et de l’intérêt général est vite détruit. ‘L’union entre
le gouvernement et la bourse’ à elle seule le démontre déjà. Ainsi, Jean-Luc
Dehaene, ancien premier ministre de la Belgique, siégeait dans plusieurs
entreprises, comme Umicore, Lotus, Dexia et AB Inbev. Sigfried Bracke,
président de la Chambre, était – avant d’avoir été obligé de démissionner – un
conseiller auprès de Telenet, une grande société belge de télécommunications.
Karel de Gucht, ancien commissaire européen du Commerce, siège dans Proximus et
ArcelorMittal, et José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission,
travaille désormais chez la banque d’affaires Goldman Sachs, un des
responsables de la crise financière de 2008.
Pas
étonnant que les multinationales paient moins d’impôts que les femmes de
nettoyage qui y travaillent. L’élite fait de son mieux pour mettre en avant la
neutralité de l’État, mais ce n’est qu’une façade. L’Etat choisit son camp, à
chaque fois. La police et la justice ne protègent pas les sans-abris contre les
spéculateurs, elles ne protègent pas les grévistes contre les briseurs de
grève, elles ne protègent pas les travailleurs licenciés contre des chefs
d’entreprises qui veulent réaliser ailleurs un pourcent de profit en plus,
elles ne poursuivent pas les hauts banquiers qui ont pillé notre économie en
2008, etc.
L’État
assume une position neutre tant que le statu quo n’est pas en jeu et tant que
les classes subalternes ne l’emportent pas. Au moment où cela risque de se
passer, elles seront confrontées aux canons à eau et au gaz lacrymogène, ou les
fonds sont coupés. Et si tout cela ne suffit pas, des tanks interviendront.
« La civilisation et la justice de l’ordre bourgeois se montrent sous
leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre
leurs maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice apparaissent comme
une cruauté sans masque et une vengeance sans loi. »xcviAu
moment où les intérêts du capital sont en danger « l’État enserre,
contrôle, réglemente, surveille et tient sous tutelle la société civile, de ses
manifestations les plus larges jusqu’à ses mouvements les plus infimes ».xcvii
La
classe capitaliste est capable, si elle le veut, de tenir à la gorge l’économie
d’un pays. C’est ce qui s’est passé au Chili, juste avant le coup d’état en
1973, au Venezuela en 2003 et en Grèce en 2015. L’État bourgeois est, pour
ainsi dire, mené en laisse par le capital. La laisse peut être longue ou courte
et donne une idée de la marge de manœuvre du gouvernement, mais finalement la
laisse est bien là.
À
cause de cette laisse, Marx n’avait pas une haute opinion des élections. « Au
lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe
dirigeante va « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le
suffrage universel devrait être au service du peuple. »xcviiiMarx
estimait que la démocratie était trop précieuse pour la confier seulement à des
politiciens professionnels ou à des parlements. La démocratie doit être ancrée
au niveau local, proche du peuple et émanant du peuple. Selon lui, le procès
décisionnel devait être porté par ce qu’on appellerait aujourd’hui la société
civile. Son modèle était celui de la Commune de Paris, une révolte populaire à
Paris, en 1871, que l’armée française réprimait dans le sang après deux mois.
Ce
qui n’empêche pas que la lutte électorale et le parlement soient des instruments
utiles pour la lutte ouvrière. Engels dit en 1895 : « Avec l’agitation
électorale, il [le suffrage universel] nous a fourni un moyen qui n’a pas son
égal pour entrer en contact avec les masses populaires là où elles sont encore
loin de nous, pour contraindre tous les partis à défendre devant tout le peuple
leurs opinions et leurs actions face à nos attaques. Et il a ouvert à nos
représentants au Reichstag une tribune du haut de laquelle ils ont pu parler à
leurs adversaires au Parlement ainsi qu’aux masses au dehors, avec une tout
autre autorité et une tout autre liberté que dans la presse et dans les
réunions. … En utilisant ainsi efficacement le suffrage universel le
prolétariat avait mis en œuvre une méthode de lutte toute nouvelle et elle se développa
rapidement. »xcix
Mais,
finalement, il faudra renverser les rapports de force. « Le but
immédiat … est la constitution du prolétariat en classe, le renversement de la
domination bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par les
travailleurs. »c
7.
Le socialisme à l’ordre du jour
« De
là la grande influence civilisatrice du capital ; il a produit un niveau de
civilisation tel que toutes les autres ont semblé être des développements
locaux de l’humanité et une idolâtrie de la nature. »ci
Tout
au long de l’histoire mondiale, l’humanité a vécu la privation et la misère
noire. Depuis la révolution agricole, il y a bien eu une production
excédentaire, mais celle-ci n’était pas investie dans l’économie. Elle était
prélevée par l’élite pour construire des palais ou des temples, pour vivre une
vie de luxe et pour entretenir une armée. Pendant des siècles, la richesse
produite restait constante et n’augmentait uniquement en fonction de la
croissance de la population. Ce n’est qu’au moment où la plus-value est
réinvestie dans la sphère de la production que l’histoire s’accélère. Du
capital nouveau permet d’acquérir de nouvelles et meilleures machines et de
développer la production. Ce basculement s’est produit plus au moins au milieu
du dix-neuvième siècle. A partir de là, la création de la richesse sur cette
planète a explosé.cii
Marx
a analysé ce processus historique en détail. « La grande industrie a
créé le marché mondial, préparé par la découverte de l’Amérique. Le marché
mondial a accéléré prodigieusement le développement du commerce, de la
navigation, des voies de communication. Ce développement a influencé en retour
l’extension de l’industrie. »ciiiMarx
constatait que les forces productives (outils, machines) avaient une tendance
historique à devenir meilleures et plus efficaces. « Le résultat est
une tendance au développement général des forces productives, de la richesse en
tant que telle. »civIl
fallait de moins en moins de temps « pour produire du blé, du bétail… …
Gagner du temps, voilà à quoi se résume finalement toute économie. »cv
La
bourgeoisie avait la mission historique de réaliser cette accélération dans
l’histoire. « Depuis un siècle à peine, la bourgeoisie a créé des
forces productives plus nombreuses et plus gigantesques que ne l’avaient fait
toutes les générations passées réunies. »cvi
Cependant, à un moment donné, le capitalisme a « atteint son but
historique. Dès que ce but était atteint, le développement ultérieur est
apparu comme un déclin. »cvii
Le capitalisme rencontre ses propres limites et la bourgeoisie n’est plus en
mesure de continuer à jouer son rôle historique. « A un certain stade
de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent
en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est
que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels
elles s’étaient mues jusqu’alors. »cviii
Dans
le capitalisme, la production ne vise uniquement que l’appât du gain d’un petit
groupe de propriétaires privés et ne se fabrique pas en fonction des besoin
sociaux ou des opportunités de développement de la grande majorité. « Le
monopole du capital devient une entrave au mode de production qui a mûri en
même temps que lui et sous sa domination. »cix
C’est
plus que jamais d’actualité. Jamais l’abîme entre ce qui est possible et ce qui
est vraiment réalisé n’a été aussi grand qu’aujourd’hui. Plus que jamais les
rapports de production empêchent un développement digne. Au niveau mondial, la
richesse produite aujourd’hui permet à chaque famille de deux adultes et trois
enfants de disposer d’un revenu potentiel de 3.500 euros. cx
En d’autres termes, il existe assez de richesse pour que tout le monde mène une
vie plus que décente. Or, un tiers de la population mondiale ne dispose pas de
sanitaire de base, et un quart ne dispose pas d’électricité. Un septième vit
dans un bidonville et un neuvième ne dispose pas d’eau potable.cxi
L’industrie
alimentaire, d’une valeur de 4000 milliards de dollars, est entre les mains de
quelques monopoles. Ils contrôlent presque toute la chaîne alimentaire, du
début jusqu’à la fin, et n’opèrent qu’en fonction de leurs profits. Ce sont
leurs anticipations de bénéfices et non les besoins et nécessités qui
déterminent qui pourra ou non disposer de nourriture dans ce monde. A présent,
plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim alors qu’il est possible
de produire de l’alimentation pour 12 milliards de personnes. Aux États-Unis,
la nourriture jetée suffirait à elle seule à nourrir tous les affamés.cxii
La faim dans le monde n’est pas une question de trop peu de capacité mais de
mauvais rapports de propriété.
Le
FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, a
calculé qu’un investissement public annuel de 24 milliards de dollars – soit
0,6 % du produit annuel du secteur agricole – complété d’investissements
privés, permettrait d’augmenter le produit mondial brut de 120 milliards de
dollars. La raison est que les personnes concernées vivent plus longtemps et en
meilleure santé et peuvent donc produire plus.cxiii
Il s’agit donc d’un rendement de 500 pourcent ! Et ne parlons même pas des
millions de vies humaines que nous pourrions sauver. Or, le capitalisme est
incapable de faire cet investissement évident et nécessaire.
La
situation sanitaire est aussi hallucinante. Au début de cette année, le géant
pharmaceutique Pfizer a décidé d’arrêter les recherches sur les maladies
d’Alzheimer et Parkinson. Non pas parce que cela ne serait plus nécessaire, au
contraire, près de 60 millions de personnes souffrent d’une de ces deux
maladies, mais parce que le bénéfice est trop insuffisant. Ces dernières
années, des millions de personnes sont décédées du sida parce que les
entreprises pharmaceutiques ont bloqué l’accès à des médicaments bon marché.
Chaque année, environ 600.000 personnes meurent de malaria. Cette maladie
aurait pu être éradiquée il y a longtemps mais, là aussi, il y a trop peu à
gagner. Pour maîtriser la maladie, il suffirait de 2,4 milliards de dollars
supplémentaires par an. Quelque 32.000 milliards de dollars sont parqués dans
les paradis fiscaux… Les entreprises pharmaceutiques dépensent 19 fois plus en
marketing qu’à la recherche fondamentale. C’est tout dire.cxiv
Et
puis le travail ! Marx constatait que, au fil du temps, la productivité
continuait à augmenter, libérant ainsi plus de temps pour l’épanouissement
intégral de l’individu. « Moins une société a besoin de temps pour
produire du blé, du bétail, etc., plus elle a du temps pour d’autres
productions, matérielles ou spirituelles. … Le gain de temps sur le travail
revient à avoir plus de temps libre, c.à.d. du temps pour l’épanouissement de
l’individu. … Du temps libre aussi bien pour paresser que pour des activités
plus évoluées. »cxvLe
faitque l’on ne vit plus pour travailler, mais inversement, créé, selon Marx,
un nouveau type d’homme : « ce temps libre transforme son
possesseur en un sujet différent. »cxviLe
niveau culturel augmente, le plaisir est plus sophistiqué. Le travailleur
éprouve « un plaisir plus grand, même mentalement, il s’investit dans
son propre intérêt , il lit des journaux, assiste à des conférences , éduque
ses enfants, développe ses goûts, etc. »cxvii
En
1830, un ouvrier belge travaillait 72 heures par semaine. En 1913, c’était 60
heures de travail hebdomadaire, en 1940, 48 heures, et, en 1970, 40 heures.cxviii
La raison est très simple : la productivité, ce qu’un ouvrier créé en valeur
par heure en moyenne, n’a pas cessé d’augmenter. Et c’est toujours le cas. En
1970, un ouvrier produisait en moyenne huit fois plus qu’il y a cent ans. Au
début de ce siècle, c’était déjà 14 fois plus.cxix
On pourrait donc s’attendre à ce que le temps de travail au travers le temps
continue à diminuer. Keynes, un des économistes les plus renommés, prévoyait
déjà en 1930 que ses petits-enfants ne devraient travailler que 15 heures par
semaine pour mener une vie confortable.cxx
Mais c’était sans tenir compte des rapports de propriété capitalistes. Au lieu
de faire diminuer le nombre d’heures de travail, on nous oblige à travailler
toujours plus et plus longtemps pour satisfaire à la « fringale
insatiable de surtravail ».cxxi
(Le surtravail est le travail non rémunéré qui est la base du profit du
capitaliste, voir point 2).
Le
capitalisme a incontestablement produit beaucoup de richesse, mais de façon
très inégale. Or, combien de temps voulons-nous encore attendre de satisfaire
les besoins de base de tous ? Le capitalisme se comporte de façon inhumaine et
antisociale lorsque le profit l’exige. Il détruit la nature et le climat si le
profit le nécessite. Sous les rapports de propriété capitalistes, il est
impossible de nourrir tout le monde, de prévoir des médicaments à un prix
raisonnable pour tous, de travailler pour vivre au lieu du contraire. « La
propriété privée moderne, la propriété bourgeoise, est l’ultime et la plus
parfaite expression du mode de production et d’appropriation qui repose sur des
antagonismes de classe, sur l’exploitation des uns par les autres. »cxxii
Ces propos sont plus actuels que jamais.
Le
capitalisme a créé assez de plus-value pour éliminer définitivement la pénurie
et donc l’existence de classes. Or, seul le socialisme est capable de le
réaliser. « Si l’homme est formé par son environnement, il faut faire
en sorte que les circonstances soient humaines. »cxxiii
Pour réaliser cela, il faudra que l’économie ne soit plus entre les mains d’une
petite élite. « Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas
l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété
bourgeoise. … En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans
cette seule formule : suppression de la propriété privée. »cxxiv
8.
Intérêt pour la nature
La conscience écologique au sein du monde industriel s’est
créée il y a cinquante ans, notamment sous l’impulsion du Club de Rome. Ces dix
dernières années, la dégradation climatique a mis au point cette conscience. Au
19e siècle, une telle conscience n’était pas encore présente. Il
régnait alors une croyance dans le progrès, basée sur les grandes percées
technologiques de l’époque. Marx était un enfant de son temps, et un certain
optimisme technologique ne lui était pas étranger. Cependant, en même temps, on
trouve dans ses écrits aussi une analyse profonde de l’impact de l’homme sur la
nature, ce qui est assez unique dans son temps. Il constate que la domination
illimitée de l’homme sur la nature est inhérente au capitalisme. Il était un
des rares penseurs du 19e siècle qui a abordé si franchement
l’intérêt pour la nature. Ce qui fait de lui un pionnier de la pensée
écologique actuelle.
Déjà
dans ses premiers écrits, Marx intégrait les facteurs géographiques et
climatologiques dans son analyse, ainsi que l’effet de l’homme sur ces
facteurs. « Toute historiographie doit partir de facteurs naturels et
de leur modification par l’action des hommes au cours de l’histoire. »cxxv
La théorie de la valeur, qui est au centre de l’œuvre de Marx, ne se limite pas
uniquement au travail. Le travail ET la nature sont les sources de la
plus-value. « Le travail … n’est pas la seule source de richesse
matérielle. Comme disait William Petty, la richesse a pour père le travail et
pour mère la terre. »cxxvi
Pour
survivre, l’homme doit travailler et maîtriser la nature. Contrairement à
l’animal, « l’homme modifie la nature et il la domine »,cxxviidisait
Engels. Marx et Engels rejetaient toute approche romantique ou
sentimentale de la mère la terre. « La science moderne et l’industrie
moderne ont révolutionné toute la nature et ont mis fin à l’attitude enfantine
de l’homme vis à vis de la nature et à d’autres formes d’immaturité. »cxxviii
L’homme
étant subordonné à la nature, il en dépend aussi et il doit en prendre soin. « ‘L’homme
vit de la nature.’ Cela signifie que la nature est son corps avec lequel il
doit maintenir continuellement un processus d’échange pour ne pas
mourir. »cxxix
« Ainsi les faits nous rappellent à chaque instant que nous ne régnons
absolument pas sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme
quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec
notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous en faisons partie et que toute
notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble
des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir
judicieusement. »cxxx
« Une société entière, une nation et même toutes les sociétés
contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n’en ont
que l’usufruit, la jouissance et doivent la léguer aux générations futures
après l’avoir améliorée en bon père de famille. »cxxxiCette
dernière citation a été écrite il y a 150 ans, mais elle aurait pu être
extraite d’un discours lors d’un sommet récent sur le climat.
Marx constatait que le développement économique dans son temps
avait un grand impact négatif sur l’environnement. « Avec
la croissance de la production et l’augmentation de la productivité du travail
… on voit s’accroître la quantité de matières premières utilisées dans le
processus de production quotidien. »cxxxii
« La croissance de l’exploitation et de
l’industrie en général a provoqué une telle destruction des forêts, que tout ce
qui est fait pour son maintien ou pour sa réhabilitation semble infime. »cxxxiii
L’équilibre entre l’homme et la nature est
perturbé, ce qui s’exprime, entre autres, par le tarissement des terres
agricoles. « Avec la prépondérance toujours croissante de la population
urbaine qu’elle entasse dans de grands centres, la production capitaliste
amasse d’un côté la force motrice historique de la société et perturbe d’un
autre côté le métabolisme entre l’homme et la terre, c’est-à-dire le retour au
sol des composantes de celui-ci usées par l’homme sous forme de nourriture et
de vêtements. La production capitaliste détruit donc l’éternelle condition
naturelle d’une fertilité durable du sol. »cxxxiv
« L’exploitation et le gaspillage des ressources des sols … remplacent la
culture consciente et rationnelle… ce qui est une condition nécessaire pour
l’existence et la perpétuation de la chaîne alimentaire pour les générations
futures de l’homme. »cxxxv
Sa
conclusion est claire : « La production capitaliste ne développe la
technique et la combinaison des processus de production sociaux qu’en ruinant
dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le
travailleur. … Plus un pays – comme par exemple les États-Unis d’Amérique –
part de la grande industrie comme fondement de son développement et plus ce
processus de destruction est rapide. »cxxxvi
Engels nous met en garde : « Ne nous flattons pas trop de nos victoires
sur la nature. Elle se venge de chacune d’elles. »cxxxvii
Marx
ne se contente pas de cette conclusion. Il cherche aussi pourquoi le
capitalisme exploite la nature à outrance. Dans son appât de gain, le capital
réduit tout à une marchandise. Les biens sont réduits à leur valeur d’échange,
au détriment de leur valeur d’usage. « Un produit devient une
marchandise qui peut être échangée. Une marchandise est transformée en valeur
d’échange … en argent. »cxxxviii
Rien n’échappe à cette cupidité pas même « les ossements des
Saints ». La nature aussi disparaîtdans « la grande cuve à
distiller de la société pour en ressortir comme monnaie de cristal ».cxxxixLe
capitalisme ne voit pas l’environnement naturel comme quelque chose à chérir et
à savourer, mais comme un moyen de soif du gain et à atteindre encore plus
d’accumulation de capital. « Pour la première fois, la nature est
devenue un pur objet utilitaire pour l’homme : elle n’est plus reconnue comme
une force existant par elle-même. »cxl
Un
système poussé par l’accumulation de capital est un système qui ne s’arrête
jamais. Le capitalisme est comme une bicyclette qui doit toujours rouler sous
peine de se renverser. Tôt ou tard, la finitude de la nature entre en
contradiction avec le soif de profit insatiable. « Telle est la loi [la
loi de la concurrence qui mène à l’accumulation] qui rejette constamment la
production bourgeoise hors de son ancienne voie et qui contraint toujours le
capital à tendre les forces de production du travail. … La loi qui ne lui
accorde aucun repos et lui murmure continuellement à l’oreille : Avance ! Avance
! »cxliLa
contrainte d’accumulation suite à la concurrence fait que les capitalistes ont
peu de scrupules. « Après moi le déluge ! Telle est la devise de tout
capitaliste et de toute nation capitaliste. »cxlii
Pour
mettre fin à cette déprédation, il faut, selon Marx, abroger la propriété
privée. « Du point de vue d’une organisation économique meilleure de la
société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe
terrestre paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d’un individu
sur un autre. »cxliiiLa
relation perturbée entre l’homme et la nature ne pourra être réparée que si la
force aveugle de l’accumulation de capital est maîtrisée et que les moyens de
production sont devenus propriété commune. « Ce communisme … est la
solution définitive pour supprimer l’opposition entre l’homme et la nature, et
des hommes entre eux. »cxliv
Naomi Klein, écrivaine et activiste renommée, arrive à une
conclusion semblable. Dans son livre sur le climat, elle dit que le monde se
voit confronter à un choix décisif : soit on sauve le capitalisme, soit on
sauve le climat.cxlv
Ce choix se pose de façon très nette dans le secteur de l’énergie fossile,
principal responsable de l’émission du CO2. Les
200 plus grandes sociétés de pétrole, gaz et charbon ont une valeur de marché
commune de 4.000 milliards de dollars et font des bénéfices annuels de dizaines
de milliards.cxlvi
Si nous voulons maintenir l’augmentation de la
température en dessous de 2 °C, nos géants énergétiques ne doivent pas toucher
à 60 à 80 % de leurs réserves.cxlvii
Dans le cadre du capitalisme, c’est désastreux pour les perspectives de profit.
Cela ferait immédiatement s’effondrer leur valeur boursière.
Ces
géants ne tolèrent aucune atteinte à leur empire économique ou financier, même
s’il y a des considérations écologiques, voire si l’avenir de la planète est
menacé. Chaque année, sans qu’on y fasse obstacle, ils investissent encore des
centaines de milliards de dollars dans la recherche de nouvelles réserves.cxlviii
Entretemps, les valeurs boursières des monopoles énergétiques se portent très
bien. En accord avec les marchés financiers et les
actionnaires, ils supposent, comme si de rien n’était, que le monde politique
ne fera pas ce qu’il promet en ce qui concerne les objectifs climatiques.
D’après Jeffrey Sachs, conseiller aux Nations Unies « les lobbys sont
en train de gagner et … le reste du monde en train de perdre, surtout parce que
les lobbys des combustibles fossiles sont bien organisés. … Ceci doit changer
d’urgence avant qu’il ne soit trop tard. »cxlix
Dans
le cadre de la logique de profit, le réchauffement climatique ne peut pas être
arrêté. Selon The Economist, porte-parole de l’élite économique
mondiale, le prix financier est trop élevé pour stopper le réchauffement
climatique. De là leur conclusion cynique : « une action globale
n’arrêtera pas le changement climatique. Le monde doit chercher comment vivre
avec ». Or, ne nous laissons pas abattre pour autant, suite au
réchauffement climatique, il y a, d’après The Economist encore beaucoup
de profit à faire. Avec toutes ces nouvelles digues à construire, les
entreprises de la construction ont un bel avenir devant elles. Avec toutes les
catastrophes à venir, les sociétés d’assurances feront de belles affaires. Le
réchauffement climatique sera aussi une bonne chose pour la médecine tropicale
… cl
Après nous le déluge, à prendre très littéralement.
La
politique climatique est trop importante pour la laisser à des géants
énergétiques et à leur logique du profit. Il faut briser leur toute puissance
afin de créer une marge pour une politique climatique responsable. Ou, selon
les termes de Marx, il importe « de réguler les échanges avec la nature
de façon rationnelle. Nous devons les soumettre à un contrôle collectif au lieu
qu’elles nous contrôlent comme une puissance aveugle. »cli
Voilà le grand défi auquel est confrontée la génération actuelle.
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Miliband R., Politieke theorie van het marxisme, Amsterdam
1977.
Van Bladel L., Kerngedachten van Karl Marx, Anvers
1981.
Notes:
i Nous nous concentrons en
premier lieu sur les textes de Marx. Nous les complétons avec des citations de
Friedrich Engels, son ami et compagnon d’armes. Ils partagèrent les mêmes idées
et écrivirent ensemble un grand nombre de textes. Friedrich Engels rédigea et
édita aussi beaucoup d’œuvres importantes de Marx. La plupart des citations
sont des traductions propres; les bonnes traductions existantes en français ont
été reprises.
ii Le pib – le produit
intérieur brut – est la production annuelle de biens et de services d’un pays.
En 2016, le pib de la zone euro était 20% en dessous des tendances avant la
crise. Financial Times 11 novembre 2015, p. 9; http://www.ft.com/intl/cms/s/0/373793a2-86cf-11e5-9f8c-a8d619fa707c.html.
iii Financial Times, 16 septembre 2009, p.
13;. http://www.ft.com/intl/cms/s/0/b24477de-a226-11de-9caa-00144feabdc0.html#axzz2niuBeAH0.
iv Marx K., Le Capital, Livre
III, Le procès d’ensemble de la production capitaliste, 1894, http://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-3.pdf, p. 121.
v Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, 1844, https://www.ucc.ie/archive/hdsp/Literature_collection/Manifest_French.pdf, p. 11.
vi Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 222.
vii
Marx K., Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie (Rohentwurf),
1858, http://dhcm.inkrit.org/wp-content/data/mew42.pdf, p. 661.
viii Marx K., Le Capital
Critique de l’économie politique. Livre I; 1867, http://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf, p. 351.
ixhttp://siteresources.worldbank.org/EXTPREMNET/Resources/TDAT_Book.pdf, p. 261; http://www.oxfamsol.be/nl/IMG/pdf/bp174-cautionary-tale-austerity-inequality-europe-120913-en.pdf, p. 22.
x Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 124.
xi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 11.
xii Financial Times, 3 janvier 2013; http://www.ft.com/intl/cms/s/2/dafa4a2c-486e-11e2-a1c0-00144feab49a.html#axzz2KIkH3LkW; Deshpande A. & Nurse
K. (eds.), The Global Economic Crisis and the Developing World: Implications
and Prospects for Recovery and Growth, New York, 2012, p. 1.
xiii
Financial Times, 1-2 Novembre 2011, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/473f53da-0310-11e1-899a-00144feabdc0.html#axzz2UDYGNQV0.
xiv
Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung. Politisch-ökonomische
Revue, 1850, http://www.mlwerke.de/me/me07/me07_421.htm.
xvhttps://hbr.org/2008/09/new-thinking-for-a-new-financial-order;
http://uk.businessinsider.com/global-financial-assets-2015-2?international=true&r=UK&IR=T; https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD.
xvihttp://www.bis.org/statistics/dt1920a.pdf.
Un
dérivé, ou produit dérivé, est une appellation générale de produits boursiers
dont le taux est basé sur un autre placement sous-jacent. Les dérivés
financiers sont utilisés afin de réduire les risques, mais surtout à des fins
de spéculation. Les principales formes des dérivés sont les options, futures,
swaps et forwards. Cfr. Vandepitte M. en Callewaert C., %Attac% tegen de
dictatuur van het kapitaal, Attac-Vlaanderen, 2000, p. 39-40; http://nl.wikipedia.org/wiki/Financiële_derivaten.
xvii http://blogs.ft.com/martin-wolf-exchange/2011/10/24/the-threat-of-the-volatility-junkie/; cfr. http://www.iii.co.uk/investment/detail?code=cotn:LLOY.L&display=discussion&id=8953934&action=detail.
xviii Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 204.
xix Marx K., Grundrisse,
p. 335.
xx
Marx K., Capital. Volume III, p. 121.
xxi
Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung.
xxii
Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung.
xxiii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 11.
xxiv Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 357.
xxv Marx K., Le Capital.
Livre I, p.788.
xxvi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 422.
xxvii Pour simplifier, nous
faisons abstraction d’impôts et de salaire différé (partie du salaire consacrée
aux pensions, la sécurité sociale, …).
xxviii Les 500 plus grandes sociétés au
niveau mondial occupent 65 millions de personnes et ont généré, en 2014, un
profit de 1.700 milliards de dollars. http://fortune.com/global500/.
xxix La fortune de Frère est estimée
à 4,9 milliards d’euros. https://www.hln.be/geld/nieuwe-nummer-een-op-miljardairslijst-van-forbes-trump-zakt-verder-weg-en-belg-komt-top-300-binnen~afc6d6da/.
xxx Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 20.
xxxi Marx K., Le Capital
Critique de l’économie politique. Livre I, p. 89.
xxxii En Belgique, le revenu
disponible net s’élève à 28.700 dollars par personne sur base annuelle.
Converti en euros, cela revient à 8.650 euros par mois pour un ménage de deux
enfants et deux adultes. Source: http://www.oecdbetterlifeindex.org/countries/belgium/.
xxxiii;
Wetenschappelijk Instituut Volksgezondheid, Gezondheidsenquête 2013. Rapport
3: Gebruik van gezondheids- en welzijnsdiensten, Brussel 2015, http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/binnenland/1.2281491https://his.wiv-isp.be/nl/Gedeelde%20%20documenten/Summ_HC_NL_2013.pdf, p. 36; https://www.hln.be/geld/economie/4-op-10-vlamingen-kunnen-niet-sparen~a1176e4f/.
xxxivhttp://www.standaard.be/cnt/dmf20160714_02385565;
http://www.standaard.be/cnt/dmf20170814_03017672.
xxxv Un emploi coûte environ
50.000 euros par an. Cela fait 20.000 emplois par milliard d’euros. Avec les
retombées des impôts, contributions à la sécurité sociale d’un côté et moins
d’allocations de l’autre côté, cela peut facilement s’élever à 30.000 emplois
et plus. En outre, ces nouveaux emplois contribuent à la relance économique.
xxxvi Marx K, Grundrisse,
p. 58.
xxxvii Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 309.
xxxviii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 10-11.
xl Jamil Jonna R. &
Bellamy Foster J., ‘Marx’s Theory of Working-Class Precariousness. Its
Relevance Today’, Monthly Review, 1 avril 2016, https://monthlyreview.org/2016/04/01/marxs-theory-of-working-class-precariousness/#lightbox/0/.
xli Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 774-5.
xlii Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 321.
xliii Marx K., The Belgian
Massacres, https://www.marxists.org/archive/marx/iwma/documents/1869/belgian-massacre.htm.
xliv Marx K., Grundrisse,
p. 411.
xlv Marx K., Grundrisse,
p. 211
xlvii Marx K., Manuscrits de
1844, 1844, http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/manuscrits_1844/Manuscrits_1844.pdf, p. 56.
xlviiihttp://www.hln.be/hln/nl/38762/Geld-maakt-gelukkig/article/detail/3019906/2016/12/03/4-op-10-Vlamingen-kunnen-niet-sparen.dhtm;
https://www.hln.be/geld/economie/twee-op-de-drie-belgische-woningen-bewoond-door-eigenaar~a0bd47d9/; http://www.knack.be/nieuws/wereld/oxfam-steeds-meer-armoede-in-europa-rijken-hebben-te-veel-invloed-op-beleid/article-normal-603687.html.
xlix Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 6-7.
l Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 357.
li Marx K., Manuscrits de
1844, p. 78.
lii Engels F. & Marx K., Lettre
à Bebel, Liebknecht, Bracke, 17-18 septembre 1879, https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc085.htm.
liii Engels F., L’origine de
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liv Marx K., Le 18 Brumaire
de Louis Bonaparte, 1851, http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/18_brumaine_louis_bonaparte/18_brumaine_louis_bonaparte.pdf, p. 12.
lv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 24.
lvi Marx K., Grundrisse,
p. 204-5. Dans le texte, Marx employait le terme ‘citizen’ pour identifier les
citoyens ‘libres’ dans une société esclavagiste.
lvii Engels F., 1880, Socialisme
utopique et socialisme scientifique, https://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/utopie.pdf, p. 41.
lviii Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, 1845, http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_Marx/ideologie_allemande/Ideologie_allemande.pdf, p. 17.
lix Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, p. 31.
lx Marx K., La guerre
civile en France, 1871,http://www.karlmarx.fr/documents/marx-1871-guerre-civile-france.pdf, p. 15.
lxi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 14.
lxii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 16.
lxiii Marx K., Grundrisse,
p. 507.
lxiv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 14.
lxv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 13.
lxvi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 16.
lxvii Le terme petit-bourgeois vient de
l’allemand et se réfère à la couche sociale entre la classe ouvrière et la
‘grande’ bourgeoisie. Il s’agit de contremaîtres, petits paysans, petits
entrepreneurs, etc.
lxviii
Engels F. & Marx K., Lettre à Bebel, Liebknecht, Bracke.
lxix Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 35.
lxx Marx K. & Engels F., Adresse
du Comité Central à la Ligue des communistes, 1850, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1850/03/18500300.htm.
lxxi Engels F. & Marx K., Manifeste
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lxxii Engels F. & Marx K., Manifeste
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lxxvii Mertens P., Comment
osent-ils ? La crise, l’euro et le grand hold-up, Bruxelles 2012, chapitre
2.
lxxviii Marx K., Critique du
Programme de Gotha, 1875, http://www.communisme-bolchevisme.net/download/Marx_Critique_du_programme_de_Gotha.pdf, p. 11.
lxxixhttp://www.progressiveeconomy.eu/sites/default/files/Progressive_Economy-JOURNAL_issue2.pdf,
p. 13.
lxxx Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 13.
lxxxi Marx K., Statuts de
l’Association Internationale des Travailleurs, 1864,
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1864/00/18640000.htm.
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1864/00/18640000.htm.
lxxxii Marx K., Statuts de
l’Association Internationale des Travailleurs.
lxxxiii Marx K., Lettre à
Siegfried Meyer et August Vogt, 9 avril 1870, dans Marx K. & Engels F.,
Textes sur le colonialisme, Moscou 1977, 352-355 ; p. 354-5.
lxxxiv Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 386.
lxxxv Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 386.
lxxxvi Marx K. & Engels F., Les
prétendues scissions dans l’Internationale, 1872, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm.
lxxxvii Marx K., Les luttes des
classes en France, 1850, http://piketty.pse.ens.fr/files/Marx1850.pdf, p. 22.
lxxxviii Marx K. & Engels F., Les
prétendues scissions dans l’Internationale.
xc Marx K., La guerre
civile en France, p. 11.
xci Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 8.
xcii
Engels F., Brief aan Karl Marx, 13 avril 1866, https://www.marxists.org/archive/marx/works/1866/letters/66_04_13.htm.
xciii Engels F., L’origine de
la famille, de la propriété privée et de l’état, p. 76.
xciv Engels F., L’origine de
la famille, de la propriété privée et de l’état, p. 75.
xcv Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, p. 32.
xcvi Marx K., La guerre
civile en France, p. 22.
xcvii Marx K., Le 18 Brumaire
de Louis Bonaparte, p. 53.
xcviii Marx K., La guerre
civile en France, p.13.
xcix Engels F., Introduction
à ‘Les luttes de Classes en France’, 1895, https://www.marxists.org/francais/engels/works/1895/03/fe18950306.htm.
c Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 18.
ci Marx K., Grundrisse,
p. 339.
cii Les premiers capitalistes
étaient des capitalistes commerciaux. À partir de la fin du quinzième siècle,
ils ont gagné de l’argent grossier grâce au pillage, au vol, à la piraterie, au
commerce des esclaves, etc. Mais en tant que tels, ils n’ont pas augmenté la
richesse mondiale. Ce n’est que lorsqu’ils commencent à investir leur capital
dans la sphère de la production que l’accumulation de capital, et donc le
capitalisme, prend réellement forme. Source du graphique : http://www.krusekronicle.com/kruse_kronicle/2008/03/charting-histor.html#.VaOeOfntlHw.
ciii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 8.
civ Marx K., Grundrisse,
p. 462.
cv Marx K., Grundrisse,
p. 119.
cvi Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 10.
cvii Marx K., Grundrisse,
p. 257 et 461
cviii Marx K., Contribution à
la critique de l’économie politique, 1859, http://www.karlmarx.fr/documents/marx-1859-critique-economie-politique.pdf, p. 9.
cix Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 906.
cx Le calcul pour la famille
moyenne repose sur l’hypothèse plausible que le revenu disponible des ménages
est de 70% du pib. Nous utilisons le produit mondial brut: 122 000 milliards de
dollars en 2016. Ce chiffre, exprimé en dollars PPA, tient compte des
différences de prix entre pays pour les mêmes biens ou services et exprime le
pouvoir d’achat réel. Nous avons converti ce chiffre en euros selon la méthode
de calcul de la Banque mondiale: pour la Belgique, 1 $ PPA ~ 0,808 euro.
cxihttp://www.unwater.org/statistics_san.html
http://www.voanews.com/content/decapua-un-energy-28apr10-92323229/154303.html; http://www.habitatforhumanity.org.uk/statistics; http://www.fao.org/hunger/en/.
cxiiFinancial Times, 25 février 2013, p. 7; http://www.ft.com/intl/cms/s/0/128a852e-7b64-11e2-8eb3-00144feabdc0.html#axzz2U7FxPYH3; FAO, IFAD, UNICEF, WFP &
WHO, The State of Food Security and Nutrition in the World 2017, Rome
2017, http://www.fao.org/3/a-I7695e.pdf, p. 2.
http://www.dewereldmorgen.be/artikel/2017/11/16/er-is-iets-grondig-mis-met-het-mondiale-voedselsysteem; Elver H., Speech by Ms Hilal Elver, United Nations Special Rapporteur on the Right to Food, http://www.fao.org/fileadmin/templates/righttofood/images/img_event/2014_VG10/FAO_SpecialRapporteurRTF_speech.pdf; Financial Times, Special Report: Managing Climate Change, 28 novembre 2011, p. 3, https://www.ft.com/content/112e448e-142e-11e1-b07b-00144feabdc0.
http://www.dewereldmorgen.be/artikel/2017/11/16/er-is-iets-grondig-mis-met-het-mondiale-voedselsysteem; Elver H., Speech by Ms Hilal Elver, United Nations Special Rapporteur on the Right to Food, http://www.fao.org/fileadmin/templates/righttofood/images/img_event/2014_VG10/FAO_SpecialRapporteurRTF_speech.pdf; Financial Times, Special Report: Managing Climate Change, 28 novembre 2011, p. 3, https://www.ft.com/content/112e448e-142e-11e1-b07b-00144feabdc0.
cxiii FAO, State of Food
Insecurity in the World 2004, Rome 2004, p. 5; http://www.hungerfreeplanet.org/news/hunger-costs-poor-countries-450-billion-a-year.
cxivhttp://fortune.com/2018/01/08/pfizer-alzheimers-drug-research-end/;
https://mronline.org/2018/01/16/profits-before-people-capitalists-abandon-alzheimers-and-parkinsons-research; https://www.theguardian.com/commentisfree/2013/feb/22/hiv-aids-deaths-pharmaceutical-industry; Financial Times 29 décembre 2014, p. 5; https://www.ft.com/content/f0ff8ed2-86b4-11e4-9c2d-00144feabdc0; http://tjn-usa.org/storage/documents/The_Price_of_Offshore_Revisited_-_22-07-2012.pdf; https://www.bmj.com/content/345/bmj.e4348.
cxv Marx K, Grundrisse, p. 119 en 625.
cxvi Marx K., Grundrisse,
p. 119 et 625.
cxvii Marx K., Grundrisse,
p. 226.
cxix
Calculé sur la base de Maddison A., Contours of The World Economy, I-2030AD,
Oxford 2007, p. 377 en 379.
cxxi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 312.
cxxii Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 18.
cxxiii Engels F. & Marx K., La
Sainte Famille, 1845, http://www.luttedeclasse.org/marxisme/sainte_famille.pdf, p. 76.
cxxiv Engels F. & Marx K., Manifeste
du Parti communiste, p. 18.
cxxv Engels F. & Marx K., L’idéologie
allemande, p. 12.
cxxvi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 99.
cxxvii Engels F., Dialectique
de la nature, 1883, https://www.marxists.org/francais/engels/works/1883/00/engels_dialectique_nature.pdf, p. 141.
cxxviii
Engels F. & Marx K, Rezension: G. Fr. Daumer, ‘Die Religion des neuen
Weltalters. Versuch einer combinatorisch-aphoristischen Grundlegung’,1850, http://hiaw.org/defcon6/works/1850/02/daumer.html.
cxxix Marx K., Manuscrits de
1844, p. 60.
cxxx Engels F., Dialectique
de la nature, p. 141.
cxxxi Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 351.
cxxxii Marx K., Le Capital.
Critique de l’économie politique. Livre II, 1885, http://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-2.pdf, p. 62.
cxxxiii Marx K., Capital.
Volume II, p. 106.
cxxxiv Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 615.
cxxxv Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 366.
cxxxvi Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 617 et 616.
cxxxvii Engels F., Dialectique
de la nature, p. 141.
cxxxviii Marx K., Grundrisse,
p. 93.
cxxxix Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 199.
cxl Marx K., Grundrisse,
p. 339.
cxli Marx K., Travail
salarié et capital, 1849, http://www.karlmarx.fr/documents/marx-1849-travail-salairie-capital.pdf, p. 18.
cxlii Marx K., Le Capital.
Livre I, p. 351.
cxliii Marx K., Le Capital, Livre
III, p. 351.
cxliv Marx K., Manuscrits de
1844, p. 82.
cxlv Klein N., Tout peut
changer. Capitalisme et changement climatique, Arles 2015.
cxlviiThe Economist 14 novembre 2015, p. 55-6;
http://www.economist.com/news/business/21678219-some-oil-majors-are-still-ducking-issue-global-warming-nodding-donkeys.
cxlviiiUnburnable Carbon 2013.
Wasted capital and stranded assets, http://carbontracker.live.kiln.it/Unburnable-Carbon-2-Web-Version.pdf, p. 33; Carbon reserves held by top fossil fuel
companies soar, https://www.theguardian.com/environment/2015/apr/19/carbon-reserves-held-by-top-fossil-fuel-companies-soar.
cxlixFinancial times, 16/7 novembre 2013, p. 9; https://www.ft.com/content/8251fd86-4de8-11e3-8fa5-00144feabdc0.
cl Adapting
to climate change. Facing the consequences, The Economist 27 novembre 2010,
p. 79-82; https://www.economist.com/node/17572735.
cli Marx K., Le Capital,
Livre III, p. 370.
Traduit du néerlandais par M. Lauwers, E.
Carpentier, L. Ragugini
Source : Investig’Action
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