vendredi 20 mai 2016

Manifestations à Rennes: «Nous ne sommes pas des casseurs, juste le peuple qui n'est pas entendu»


Des manifestants face aux policiers rue Jean-Jaurès à Rennes, le 28 avril 2016 lors d'une manifestation contre la loi El Khomri.


Depuis le 17 mars et un affrontement tendu place de la Mairie, Rennes a été le théâtre de nombreuses violences en marge des manifestations contre la loi Travail. Comme Nantes, la capitale bretonne s’est illustrée par ses heurts récurrents, et notamment la grave blessure à l’œil d’un étudiant de 20 ans, ou encore le saccage du centre-ville lors d’une manifestation sauvage le vendredi 13 mai.
Mobilisée depuis le début contre la loi Travail, Emma (le prénom a été modifié), une apprentie de 20 ans, fait partie des manifestants qui arrivent masqués et vont au plus près des policiers. Elle a souhaité nous expliquer pourquoi.
Pourquoi arriver masquée lorsque vous venez manifester ?

Lors de la première manifestation je n’avais qu’un simple foulard sur le nez, mais les gaz lacrymogènes étaient horribles, ça me brûlait les yeux et j’étais à la limite de vomir. J’ai mis des lunettes pour me protéger les yeux, un foulard imbibé de vinaigre doublé d’une écharpe épaisse pour pouvoir respirer, des gants pour éloigner les lacrymogènes du reste du groupe, et une capuche épaisse car les projectiles tombent du ciel.
Le terme de « casseur », il vous énerve ?

Disons plutôt qu’il m’indigne. Nous ne sommes pas des casseurs. Simplement le peuple qui n’est pas entendu.
Vous vous plaignez des violences policières…

Ma main droite est amochée pour un moment par un coup de matraque. Je suis apprentie artisan, pour moi c’est un coup dur. Surtout, j’ai pris des coups par deux fois alors que rien n’avait été fait de ma part, ou que j’avais obéi aux sommations. La première fois je me suis retournée car un CRS frappait le dos d’un autre manifestant pour que nous reculions plus vite. Alors ce CRS, à qui j’ai signalé ça, m’a mis un coup violent sous les cotes.
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La seconde, nous tentions de nous disperser mais ils nous courraient après, un manifestant était bloqué entre deux policiers qui le matraquaient, j’ai voulu aller vers lui pour le tirer vers moi mais un troisième est arrivé et m’a mis un coup, j’ai juste eu le temps de mettre la main pour protéger ma tête et suis tombée à terre. Quelqu’un est venu me chercher et j’ai couru.
Avez-vous également agi en représailles en vous en prenant aux policiers ?

Pas du tout. J’avoue que j’ai pu lever le majeur en leur direction après les coups, mais rien de plus. A part leur tendre une fleur… Mais peut-être sont-ils allergiques au pollen. Dans ce cas, je m’excuse, mais ça ne méritait pas de coup pour autant.
On entend souvent dire des manifestants que « la violence est du côté de l’Etat ». Êtes-vous d’accord ?

Absolument. Je le crie souvent en manif. Quand l’Etat use du 49.3, c’est une violence, un « déni de démocratie », pour paraphraser notre cher président. Quand Cazeneuve vient encourager les forces du capital, c’est une violence. Quand des Français perdent leur travail au non des jeux de la bourse, c’est une violence. Même le jeu médiatico-politique est une violence. Nous voulons juste être entendus, respectés. Nous sommes le peuple, tout comme vous l’êtes. L’Etat nous met le pantalon sur les chevilles et nous demande de nous cambrer… On dit non.
Avez-vous participé à la manifestation nocturne de vendredi (des banques, des vitrines et un commissariat ont été vandalisés) ?

Non, mais j’aurais bien aimé. Pour la plupart nous sommes contre le capital, et les banques en sont le symbole, tout comme la vitrine du PS était pour nous le symbole de l’Etat.
Que pensez-vous de ceux qui s’en prennent aux policiers. Et pensez-vous qu’il faudrait les en empêcher ?

Je trouve ça dommage car après les médias s’en servent, oublient nos revendications et ne mettent que ça en avant, en nous faisant passer pour des « malfaisants ». Maintenant, je peux comprendre que certains soient en colère quand les coups pleuvent et qu’ils veulent se défendre. Je ne les empêcherais pas, mais c’est dommage et contre productif.
Puisqu’on ne les écoute pas, certains expriment leur colère contre un état oppressif comme ils le peuvent… Parfois ces tirs sont faits pour faire reculer des policiers qui chargent la foule, alors ils nous défendent. On est face à des dizaines d’hommes immenses, musclés, armés et protégés, tant par l’Etat que par leurs armures. A ceux qui cherchent à nous en protéger, je dis merci.
Ces violences (de chaque côté) peuvent-elles discréditer le mouvement ?

Oui je pense et je trouve ça fatiguant. Comme je l’ai dit, après c’est repris en masse dans les médias, et on ne voit plus que ça partout… Nos revendications sont complètement oubliées. On se mobilise pour nos libertés, et les vôtres, je le rappelle.
Propos recueillis par Camille Allain
Publié le 20.05.2016 à 07:18
Mis à jour le 20.05.2016 à 08:36

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