Rocard : le Larzac perd un ami
« Il faut constamment sortir des formes de
contestation tolérées par le système, puisque ce sont des formes inefficaces,
et qu’il faut constamment faire déboucher une lutte partielle vers des
objectifs plus généraux qui la dépasse. (…) Cette lutte est politique en ce
qu’elle n’accepte pas la limitation à un secteur donné mais pose la question du
pouvoir central, en fonction des intérêts qu’il sert. » Dès les années 1970,
Michel Rocard ciselait cette phrase pour la préface du livre de Bernard
Lambert, leader des Travailleurs paysans, «les Paysans dans la lutte des
classes». Il est resté fidèle à ce principe de subversion constructive. Ce radicalisme
et cette liberté de ton faisaient de Michel Rocard un homme politique à part.
Dans les années 1960, il n’a pas hésité à s’opposer à la guerre en Algérie et à
dénoncer le fait colonial. Et c’est tout naturellement qu’il a été présent dans
la lutte contre l’extension du camp militaire du Larzac.
Les échanges entre Michel Rocard et les habitants du
plateau ont toujours été denses. En 1973, il est là pour le premier grand
rassemblement de soutien et reviendra même dès l'année suivante. Sa ville de
Conflans-Sainte-Honorine est jumelée avec Costeraste, une des premières fermes
acquises par le Groupement Foncier Agricole pour multiplier les propriétaires
et freiner l’avancée de l’armée. En décembre 1980, les paysans s’installent
sous la Tour Eiffel pour demander l’arrêt du projet. Il fournit aux
manifestants les équipements qui leur permettent de tenir dans le froid de
l’hiver. Lorsque le campement est expulsé par les forces de l’ordre, il envoie
une péniche, qu’il fera amarrer face à l’Assemblée Nationale, pour accueillir
les familles.
Devenu Ministre du Plan et de l’Aménagement du
Territoire de François Mitterrand, Michel Rocard n’oublie pas le plateau du
Larzac. Il revient fin 1981, pour l’inauguration de la bergerie de La
Blaquière, en compagnie du Préfet de Région et du Secrétaire d’Etat à
l’Agriculture. Bergerie construite sans permis pendant la lutte contre
l’extension du camp, financée par le refus de payer l’impôt, son inauguration
par le Ministre d’Etat est une reconnaissance de cette lutte non-violente et de
la désobéissance civique des paysans du Larzac.
En 2003, il fera partie des voix qui saluent le
rassemblement altermondialiste contre l’Organisation Mondiale du Commerce. Il
considère cet événement comme la continuité de l’histoire militante de ce
territoire.
Fidèle soutien de la lutte kanak, la communauté
larzacienne est très sensible en 1988, à son rôle actif dans la signature des
Accords de Matignon, qui fixe clairement un processus d’autodétermination et la
marche vers l’indépendance de Kanaky. On reconnaît son influence dans le
préambule : « La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak
qu'elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette
confrontation leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en ont
résulté. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître
les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui
équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la
fondation d'une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun. »
L’une de nos dernières rencontres date de l’été 2008.
Dans un restaurant, place des Invalides, nous avons discuté à bâtons rompus de
ces luttes communes et de nos convictions profondes pour l’Union européenne
dont il a été député pendant de nombreuses années, et pour l’écologie,
également au cœur de ses préoccupations. Hasard des agendas, c’est encore
habité de cet échange, que je rencontre quelques heures plus tard Dany Cohn
Bendit pour jeter les prémisses d’Europe Ecologie et de mon engagement au
Parlement Européen. Aujourd’hui, ses enseignements et ses engagements résonnent
encore dans nos luttes.
José Bové
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